Si l’on en croit la fameuse histoire de Robert Bly, Jung répondait invariablement à quelqu’un qui s’enthousiasmait à propos d’une promotion : « Je suis vraiment navré d’entendre cela ; mais si nous nous serrons les coudes, je pense que nous nous en sortirons. »
Par contre, à quelqu’un qui confiait, déprimé et penaud : « Je viens d’être viré », Jung répliquait : « Ouvrons une bouteille, voilà d’excellentes nouvelles, quelque chose de bon va se produire.”
Cela peut sembler rétrograde à un esprit rationnel, mais pour l’âme, cela fait merveilleusement sens. Face à ce genre de promotion, l’ego est menacé d’inflation car il se sent enfin reconnu comme le suprême chef qu’il était destiné à être (!)
Détenir le pouvoir, c’est de cela dont dépend sa survie, et il n’apprécie guère de perdre de son ascendant. Pourtant, face à ces événements qui nous secouent, il ne peut faire autrement que d’affronter sa petitesse.
Jung écrit, « […] l’expérience du Soi est toujours une défaite pour le moi. » En effet, lors de ces initiations que sont la maladie, la perte ou la dépression, lorsque nous sommes entraînés dans la profondeur, tenus de passer à travers une extrême vulnérabilité, nous sommes dépouillés de tout ce qui est extérieur, préparés pour la rencontre avec le Divin.
Nous avons tous eu ce genre de rêves où l’on perd son portefeuille, ou un sac qui contient notre « identité » et de l’argent — symbole de « l’estime de soi ». C’est le moment où l’ego panique et dit : « Qui suis-je sans cela ? »
Et il est juste d’avoir peur… Quand l’ego est affaibli, il y a une chance qui s’offre à nous de découvrir une instance plus grande, le Soi ; mais, pour un temps, cela implique l’acceptation d’être totalement désorientés.
Sur une route sinueuse, on ne sait pas toujours où l’on va ; de la même façon, on perd parfois toute visibilité sur ce qui se déroule dans l’âme.
Si vous parvenez à éprouver quelque soulagement en vous abandonnant au sol qui se dérobe, vous goûterez avec plaisir à l’abîme du non-savoir, là où vous devenez l’instrument de la créativité, et vous connaissez, pour un instant, la véritable liberté qu’offre l’adhésion au numineux.
— Toko-pa Turner,
— Traduction : Michèle Le Clech, by courtesy of Toko-pa
Relecture : Nelly Delambily
Article original paru sous le titre : Loss of Identity: A summoning of the Numinous
Les traductions sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution
Comments 3
Merci pour cet article, fort pertinent et qui tombe à point en ce qui me concerne. Récemment, je lisais un témoignage dans un journal, intitulé « je suis personne », d’une femme au chômage qui disait comment la perte de son emploi l’avait amené à une errance intérieure : elle n’était plus personne. Malheureusement, elle ne saisissait pas la chance qui était la sienne d’avoir l’occasion de sortir de l’identité sociale dans laquelle elle avait vécu jusque là. Mais c’est vrai que c’est très difficile. Il est bon dans ce cas de se souvenir que c’est en disant « je suis personne » qu’Ulysse le voyageur a pu échapper au Cyclope à la vision unilatérale…
Author
On est souvent en résonance toi et moi 😉
Le chemin vers le Soi passe souvent par une « défaite » du moi…mais là où ça devient subtil…(et c’est le thème de très nombreux contes), c’est que le « cadeau » qui en résulte ne survient que si…l’on n’attend rien…
Celui, qui, ayant vu le bénéfice qui peut en résulter, imite le comportement de celui ou celle qui l’a fait avant lui, et « attend » ce bénéfice…ne l’obtient pas.
(conte de Dame Holle, des « Trois petits hommes dans la forêt », Morozko…etc)
C’est l’attitude intérieure qui compte, et non simplement la « perte d ‘identité »…
Il y a « une chance que… »…mais rien n’est jamais garanti…