Le monde d’aujourd’hui craint la nature transformante du féminin
Nous vivons dans un environnement culturel qui veut nous faire croire que, si nous sommes en difficulté, alors nous sommes en échec. Mais en réalité, si nous ne sommes confrontés à aucun obstacle, nous ne nous mettons pas non plus en quête. Sans la difficulté, nous ne naissons pas à de nouveaux potentiels.
Chaque difficulté apporte avec elle de nouvelles occasions d’évoluer et de se rapprocher de la complétude, et nous place dans les bras transformants du principe féminin. Mais, pour autant, toujours nous craignons le changement
La raison de cette crainte et ce que cela signifie, nous en parlons dans notre dernier livre, Into the Heart of the Feminine, au chapitre 5 (p. 74-76) et nous aimerions partager ceci avec vous :
[…] Nous sommes amenés à croire, à un niveau inconscient, que nous pouvons ou devrions être capables de contrôler la vie. Nous cultivons aussi l’illusion que nous pouvons être, ou qu’il est préférable d’être détachés et de se tenir au-dessus de la vie, intellectuellement, spirituellement et émotionnellement. En conséquence, le côté patriarcal de notre culture — et, par conséquent, de notre inconscient personnel — nous porte à croire que nous pouvons atteindre nos objectifs, mettre nos idées et nos concepts en pratique, et changer de comportement à volonté.
Lorsque nos efforts ne suffisent pas, nous nous jugeons paresseux, faibles, indisciplinés, incapables ou, plus simplement, défaillants. Non seulement c’est une conception de la vie unilatérale, patriarcale, mais c’est également une approche extrêmement préjudiciable. Dans L’Homme et ses symboles, Jung dit très clairement que nous soutenons ces croyances au prix d’un « remarquable manque d’introspection”. Il poursuit en disant que nous ne voyons pas que, malgré rationalité et performance, nous sommes possédés par des « puissances » qui nous dépassent. Le prix que nous payons est que nos illusions « nous tiennent en haleine par de l’inquiétude, des appréhensions vagues, des complications psychologiques, un besoin insatiable de pilules, d’alcool, de tabac, de nourriture, et surtout par un déploiement impressionnant de névroses. »
Nous devons prendre en compte un autre élément. Cette approche unilatérale de la vie entraîne l’idée erronée que nous pouvons décider de nos objectifs de façon rationnelle, considérer nos attitudes et les changer, organiser et transformer nos vies de manière efficace, confiants dans le fait que ces capacités aboutiront à l’estime de soi, au succès et à une vie agréable. Mais suivre cette voie signifie en réalité préférer la définition que donne la société marchande et patriarcale — et celle qui a rendu si lucratif le marché du développement personnel — en compensation de nos blessures et complexes précoces. Nous nous mettons ainsi dans une position où la honte jaillit de façon continuelle, tout simplement parce que nous ne pouvons pas répondre aux attentes que nous avons nous-mêmes créées et qui reposent sur ces illusions.
Lorsque les gens commencent le travail intérieur, l’une des choses les plus difficiles que nous avons à faire en tant qu’analystes est de les aider à dépasser le secret mépris qu’ils ont pour le féminin. Dans notre société, les gens se laissent facilement dévorer par l’affairisme, la productivité et les agendas bien remplis.
La technologie, qui promettait du temps libre, génère de la tension, de l’anxiété, et la soif d’obtenir toujours davantage. Pour y échapper, il nous faut apprendre à sacrifier pour part les valeurs et les activités issues de cette démarche aliénante. Cela implique de reconnaître et de respecter le besoin de silence et de réflexion, et d’être réceptifs et présents au monde intérieur.
Cette nécessité est aussi pressante pour les hommes que pour les femmes, et réside au cœur du féminin archétypique : l’art de la relation, la réceptivité et la valorisation de ce qui n’est pas rationnel. Tant que nous ne changeons pas la façon dont nous nous goûtons et appréhendons la vie, notre capacité à accorder de l’attention et de l’amour aux autres sera entravée. Notre créativité la plus profonde a besoin d’une atmosphère renouvelée pour s’épanouir.
Nous devons prendre le temps pour constater à quel point les effets de ces projections négatives sur le féminin sont invalidants. Issues de nos complexes patriarcaux (par exemple : nous ne faisons rien, nous perdons notre temps, etc.) ces projections visent tout ce qui ne concerne pas la réussite ou « faire ce qui doit être fait » et limitent notre capacité à accueillir nos émotions. Pour être plus « efficaces », nous sommes censés être détachés, au-dessus, et maîtres de nos émotions. Mais la vérité, c’est qu’en adoptant un tel point de vue, nous mettons à mal ce qui demanderait à être traité avec soin. Lorsque nous réprimons nos émotions, la compensation se fait dans l’inconscient où, sans la lumière de la conscience, elles deviennent sombres, explosives, destructrices et, d’une certaine façon, de plus en plus insurmontables.
Nos émotions sont le seul moyen que nous avons pour nous engager dans la vie de façon personnelle. Être en mesure de ressentir nos émotions — sans être submergés par elles — et pouvoir apprendre d’elles, sont les clés pour une bonne santé mentale. Par ailleurs, si nous évitons de faire face à nos besoins psychologiques et émotionnels comme les projections patriarcales nous obligent à le faire, nous nous sentons isolés. Nous pouvons aisément constater qu’avec un tel mépris pour le féminin, une super rationalité, le contrôle de nos émotions, le rendement et la productivité, nous nourrissons le principe destructeur de la Grande Mère. Lorsque nous refusons de nous expliquer avec nos émotions — qu’elles soient fortes ou même brûlantes — et que nous les considérons de façon négative, la Grande Mère la Mort s’empare de cette énergie refoulée et envahit notre monde et notre intériorité profonde avec une force froide, sauvage, corrosive, qui tue l’espoir et draine notre vitalité.
Avant d’évoquer plus avant les projections, penchons-nous sur un autre aspect, propre au patriarcat. Le patriarcat, ce complexe qu’hommes et femmes ont intériorisé, vit dans la crainte de voir le statu quo menacé. Cela fait aussi partie de la projection négative concernant la capacité du féminin à susciter le changement et la transformation. C’est aussi une des principales raisons pour lesquelles nous redoutons nos émotions : parce que si nous les accueillions et les comprenions vraiment, nous pourrions alors avoir à faire face à la lourde tâche de transformer nos vies.
Collectivement et individuellement, nous craignons la nature transformante du féminin. Nous considérons avec crainte les remises en causes du statu quo institutionnel de la société — et, plus encore, celles qui remettent en cause la façon dont nous avons « institutionnalisé » notre vie, nos sentiments, nos systèmes de valeurs, nos attentes.
Ceux d’entre nous qui fuient l’aspect transformant du féminin projettent la peur de leur nature féminine (peur de remettre en cause notre vie, les traditions, nos attitudes et l’histoire) sur des images de femmes qui vont de Eve, à la sorcière, à la prostituée, aux chercheuses d’or, à l’hystérique.
— Massimilla Harris, Ph. D.
— Traduction Michèle Le Clech
— Relecture Nelly Delambily
By courtesy of Dr Harris, Jungian Analyst, psychotherapist and author
L’article original, Today’s World Fears the Transformational Nature of the Feminine, se trouve à cette adresse
Les traductions sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution
Pour les anglophones : présentation du livre à Malaprop’s Bookstore in Asheville, NC on March 29, 2015
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Si juste…