Marion Woodman: les hommes viennent de la Terre, et les femmes aussi

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Marion WoodmanInterview de Marion Woodman par James Kullander pour le Sun Magasine : Men Are From Earth, And So Are Women: Marion Woodman On The Inner Marriage Of The True Masculine And The True Feminine.

— Kullander : Freud a appelé sa méthode (la psychanalyse) la « cure de parole » : le client parle pendant que le thérapeute ou l’analyste écoute. Ce modèle a été le modèle dominant de ces cent dernières années. Mais vous avez toujours prêté attention au corps, autant dans votre pratique que pour votre propre développement psychologique. Comment en êtes-vous arrivée là ?
— Marion Woodman : J’étais une enfant intellectuelle qui vivait énormément dans sa tête, toujours consciente que son corps était à la traîne. Dès l’âge de trois ans mon père avait pris en charge mon éducation à la maison. Et quand j’ai commencé l’école, j’étais bien en tête des autres enfants de mon âge. On m’a donc fait sauter plusieurs classes. J’avais six ans quand les autres enfants de ma classe en avaient huit ou neuf, ce qui fait que j’ai développé un réel complexe d’infériorité physique. Je prêtais très peu d’attention à mon corps et à ses demandes, jusqu’à ce qu’un jour (à 15 ans), je sois sévèrement frappée d’insolation. Cela s’est produit si rapidement que j’ai failli en mourir. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Après cet événement, je suis devenue de plus en plus consciente de ce qui se passait au niveau du corps.
Toute ma vie Dieu m’a parlé au travers de la maladie. Mon mode de fonctionnement est d’aller de l’avant et de prendre du bon temps, jusqu’à ce que je sois soudainement terrassée par une maladie. C’est là où la véritable pesanteur psychologique se situe pour moi. Durant ma carrière, j’ai vu des gens passer par des expériences similaires : ne pas faire attention à leur corps et tomber malades — voire parfois même mourir prématurément ou, tout au moins, ne pas vivre leur vie aussi pleinement qu’ils le souhaitaient. […]
J’ai découvert que la thérapie par la parole n’est pas la meilleure façon d’aider ces gens. Très souvent,  c’est même de très peu de secours. J’ai donc décidé très tôt que le corps devait être impliqué dans la guérison psychologique parce que le corps peut rester accroché à des souvenirs et des images autrement inaccessibles. Vous ne pouvez pas les atteindre simplement en en parlant.
Je réunis à présent des femmes en groupe pour travailler, en groupe, sur leurs rêves et leur corps, et nous nous entraidons.
Imaginons par exemple qu’une femme rêve que sa bouche est enfermée dans une cage en argent. D’où cela vient-il ? allons-nous demander. Peut-être ses parents l’ont-ils réprimandée parce qu’elle disait des choses que les « gentilles filles » sont supposées ne pas dire ? Ou peut-être a-t-elle dû satisfaire quelqu’un toute sa vie aux dépens de son propre développement ? Ou peut-être a-t-elle vécu une expérience traumatisante ? Nous ne nous contentons cependant pas de parler de ces possibilités, nous accompagnons cette femme à travers toute une série d’exercices corporels qui l’aideront à démanteler cette cage d’argent. Nous pouvons commencer par des mouvements qui lui font ouvrir la bouche — littéralement — et continuer avec des exercices qui englobent l’ensemble du corps, de la pointe des orteils au sommet de la tête, ouvrant ainsi le corps et lui permettant de ce fait d’accéder à des mouvements naturels qui ne soit plus retenus ni par la peur, ni par l’excès de travail, ni par quoi que ce soit d’autre. Puis nous rejouons les images de nos rêves à travers le mouvement. Au bout d’un moment, la cage se transforme en de fins fils d’argent qui finissent par disparaître eux aussi.
 
— Kullander : Vous avez également déclaré que l’éveil spirituel et l’éveil physique vont de pair. Qu’en-est-il ?
— Woodman : Certaines personnes viennent à Dieu par le corps. J’en fais partie. Dans sa typologie Jung liste deux paires de fonctions : pensée-sentiment et sensation-intuition. Ma fonction principale est l’intuition. Je vois et je sens le monde intuitivement et j’y réponds de façon très intuitive. Pour Jung l’opposé de l’intuition est la sensation. Comme l’intuition est ma fonction la plus forte, la fonction sensation est la plus faible. Le mystère divin nous parvient à travers la fonction la moins développée. Donc, pour moi, la fonction sensation ressemble parfois à un miracle, parce qu’elle est totalement nouvelle.
Comme je l’ai dit, Dieu m’a toujours parlé par la maladie. Après le choc et les souffrances d’une maladie prolongée vient la surprise et la joie. Je peux regarder quelque chose d’aussi simple qu’une tulipe rouge, et cette tulipe contient tout ce que j’ai besoin de savoir pour comprendre le mystère du divin.
 
Kullander : La plupart d’entre nous rencontrent de grosses difficultés à maintenir ces moments de clarté.
Woodman : Il m’arrive aussi parfois de retomber dans ces ornières et, de là, dans mes anciennes affections. Si je reste en contact avec mes rêves cependant, ceux-ci continuent à me pousser de l’avant, me plaçant toujours dans le futur. Je trouve ça passionnant, et j’essaie donc de ne pas négliger mes rêves. Cela m’arrive parfois, bien sûr, quand je suis trop occupée. Et c’est une terrible erreur, parce que les rêves doivent être honorés.
 
— Kullander : La plupart des rêves semblent éphémères et absurdes, et les gens s’en souviennent rarement. Comment pouvons nous tirer d’importantes informations sur notre façon de vivre à partir de sources aussi incertaines ?
— Marion Woodman : Un rêve est comme un cerf à l’orée du bois : s’il est accueilli, il sortira du bois. Si vous le nourrissez, il entretiendra une relation avec vous. Mais si vous ne lui prêtez pas attention, il disparaîtra.
Si vous pensez vraiment que les rêves ont de l’importance, vous percevez bientôt certains schémas, et vous réalisez que l’inconscient apporte des messages qui sont chargés de sens pour vous. Si votre inconscient est en guerre avec votre part consciente, la seule façon de mettre fin à l’affrontement est de vous pencher sur vos rêves. Ils vous diront ce que vous devez savoir.
Si vous rêvez qu’une cloche sonne, ou que l’on tape à la porte, ou que vous êtes frappé par l’éclair en traversant la rue, vous devez y prêter attention. Le moindre petit signe peut indiquer qu’un réel problème doit être pris en considération.
 
— Kullander : un de mes anciens professeurs, junguien, racontait l’histoire d’un homme qui avait un rêve récurrent. Il rêvait qu’il passait en voiture près d’une énorme citrouille sur le bas-côté de la route. Et il s’est avéré que cet homme avait une énorme tumeur à l’intérieur de son corps. Nous avons tous des rêves étranges comme celui-ci. Comment faire pour ne pas devenir paranoïaque face à ce que nos rêves pourraient nous dire ?
— Woodman : Si j’avais un rêve qui, selon moi, me dit quelque chose de terrifiant, j’irais immédiatement le faire contrôler — c’est comme cela que j’ai découvert mon cancer de l’utérus.
Mais les rêves peuvent aussi apporter la guérison.. La nuit précédent l’intervention chirurgicale pour mon cancer, j’ai eu un rêve :
Sur un petit bateau sans moteur qui dérivait dans un chenal au petit matin il y avait deux personnages. L’une était une petite fille de cinq ans pleine de cran, l’autre une tzigane, grande, majestueuse et pleine de pouvoir. Et elle m’apportaient deux perles qui pour moi sont le symbole du féminin. Je me battais durement pour ma vie à ce moment là, et je me suis dit :  « si je peux amener cette tzigane et cette petite fille dans mon corps, je sais que je survivrai. »
Et je suis là.
 
— Kullander : que voulez-vous dire par « amener à l’intérieur ? »
— Woodman : Ressentir l’énergie. Au lieu de regarder mes mains par exemple qui étaient pleines d’énergie mourante — elle ressemblaient aux mains d’un cadavre — et de laisser cette énergie me tirer vers le bas, j’ai ramené à l’intérieur toute cette énergie tzigane et me suis rappelée ce que c’est que d’être sur les planches (d’une salle de danse), de bouger sur un rythme, de défier la société et tout ce qui, toute ma vie, m’avait retenue. La petite fille de cinq ans a la même énergie parce qu’elle ne sait pas encore ce que c’est que d’être écrasée, parce qu’elle n’a pas encore appris à plaire aux autres. C’est cette énergie là que j’ai essayé d’amener à l’intérieur.
J’ai travaillé là-dessus pendant deux mois, dansant une heure par jour. A un moment j’ai même perdu courage. Si je n’écoutais pas de la musique, je n’arrivais pas à maintenir cette énergie tzigane et je retombais dans l’énergie de mort que je voyais dans mes mains.
Et je suis allée à une soirée. Il y avait un groupe qui jouait de la polka et mon corps s’est précipité… sans hésiter. J’étais une tzigane sur un parquet de danse. Et j’ai su, à ce moment-là, que j’allais vaincre le cancer. Psychologiquement, si vous acceptez que vous êtes perdu, vous l’êtes.
Je crois que mon inconscient sait ce dont j’ai besoin plus que quiconque.. Si vous acceptez une image de rêve dans votre vie quand vous êtes malade, ou lorsque vous avez des difficultés psychologiques, celle-ci peut vous tirer dans une direction constructive. L’image onirique vient à la vie par le corps. Elle est peut-être née dans l’inconscient mais son travail de guérison a besoin d’être incarné dans le mouvement et la danse.
 
— Kullander : Deux personnes qui me sont proches sont mortes du cancer. Parfois elles pensaient qu’elles avaient attiré la maladie sur elles parce qu’elles n’avaient pas mené la vie qu’elles étaient supposé devoir mener, ou parce qu’elles n’avaient pas suffisamment prêté attention à leur corps.
— Woodman : Ce n’est pas un bon moment pour la critique quand on est malade. Devez-vous vous blâmer pour ce que vous pouvez avoir fait inconsciemment ? Si la maladie vient de votre inconscient, pouvez-vous en être responsable ? Quand Jésus est sur la croix contemplant ses bourreaux il demande à Dieu de leur pardonner parce ce qu’ils « ne savent pas ce qu’ils font ».
Il dit que ce qu’ils font est un acte inconscient et que donc Dieu doit leur pardonner. Le pardon guérit.
Je crois que dans le cas du cancer nous devons nous pardonner . Cela ne nous guérira pas forcément mais cela nous donnera un sentiment de paix et d’intention, au-delà de ce que veut l’ego ou pense qu’il veut, c’est-à-dire vivre.
 
— Kullander : Comment votre flirt avec la mort a-t-il changé votre façon de vivre ?
— Woodman : J’ai abandonné mon cabinet à Toronto et je n’exerce plus en privé. Je prends plus de temps pour être avec mes amis, pour être avec mon mari, pour être dans la nature, Je n’avais jamais réellement vu des fleurs, au printemps, comme j’ai pu le faire après mon cancer. Faire face à la mort m’a conduit à lâcher toute velléité de contrôler quoi que ce soit. C’est la plus grande libération que vous puissiez imaginer. La vie est différente maintenant parce que je ne suis plus attachée aux résultats. Quand j’étais malade du cancer, je priais et priais pour ne pas mourir. Mais un jour comme je priais, les mots sont venus : « Que ta volonté soit faite. » C’est de cette façon que j’essaie de vivre maintenant
Durant la Passion du Christ, celui-ci prie Dieu d’éloigner le calice, mais quand les disciples sont endormis et qu’il est finalement seul il dit : « Que ta volonté soit faite. » C’est le mouvement de l’ego vers l’âme. L’ego est oublié. Vous remettez votre vie à l’âme — à Dieu — et ce que l’ego veut n’a plus d’importance.
 
— Traduction française : Michèle Le Clech et Roger Faglin
Mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas de Modification

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