La formidable gravité que le problème de l’amour revêt dans la perspective de l’inconscient est illustrée par le songe suivant, échu à une femme d’âge moyen qui fit l’expérience d’un amour profond et réciproque pour un homme marié, amour contre lequel elle se défendait en partie pour des raisons rationnelles et de convention :
J‘entendis le son profond et puissant d’une cloche de bronze, un son extraordinaire, tel que je n’en avais jamais entendu ni même imaginé, un son venu de !’au-delà, d’une beauté extraordinaire et irrésistible.
Fascinée, je me levai car il me fallait me rendre à la source de ce son qui ne pouvait être que divin. Comme il me paraissait sacré, je me suis dit qu’il provenait peut-être d’une église. Je me retrouvai aussitôt dans une église du plus pur style gothique en pierre blanche. Je m’apprêtais à gravir l’escalier menant dans la tour du clocher afin d’y découvrir la cloche, l’origine du son grave et rythmique que je continuais de percevoir.
Mais tout changea : l’église se transforma en une vaste voûte à l’image d’une nef de cathédrale, faite d’un matériau vivant de couleur rouge orangé baigné d’une lumière rose et soutenue par une forêt de colonnes m’évoquant des grottes naturelles de stalactites comme j‘en avais vues en Espagne. Je m’aperçus moi-même, pendant un court instant, minuscule et solitaire silhouette plantée dans cette salle immense, émerveillée à la vue de ce monde que je devais explorer. Je sus alors que c’était mon cœur et que je me tenais dedans ; je me rendis compte du même coup que le magnifique son de cloche que je continuais d’entendre n’était autre que le battement de mon propre cœur, et que celui-ci et le son extérieur formaient un seul et même son, résonant au même rythme. Macrocosme et microcosme étaient à l’unisson, le cœur du monde et mon propre cœur battaient ensemble.
Il me semble que ce rêve se passe d’interprétation car il se suffit à lui-même en tant qu’illustration de l’intime et indissoluble lien entre éros et individuation.
— Marie-Louise von Franz, Psychothérapie – L’expérience du praticien, p. 221
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Merci pour cet article, auquel on peut ajouter en contrepoint le constat de Jung, rapporté dans le même volume par Von Franz: « Le problème de l’amour est difficile au point que vous pouvez vous estimer heureux si, à la fin de votre vie, personne n’a fait naufrage à cause de vous. »