Dr Michael Cornwall : une autre approche de la folie

Carnets de rêvesMichael Cornwall, Traduction Leave a Comment

L’émotion : le terreau de chaque chaque mot, chaque voix, chaque image symbolique, chaque mouvement corporel, chaque pensée

Le fait d’entendre des voix — dans la folie ou lors de nos conversations intérieures « normales » et incessantes — montre que c’est par les mots que nous tentons d’exprimer (à nous-mêmes ou aux autres) notre état émotionnel latent. Nous sommes avant tout des êtres d’émotion, des primates et des mammifères qui, durant les deux premières années de leur vie, développent la capacité d’exprimer par la parole leurs émotions instinctives, pré-verbales.
Et nous commençons à exprimer ces émotions avec les mots que nous avons appris de ceux qui prennent soin de nous. Nos pensées, constituées de mots, de paroles et d’une imagerie symbolique, expriment notre état émotionnel de chaque instant. Nos mouvements corporels expriment également nos émotions du moment.
Les images et les paroles de nos rêves expriment quant à elles nos états émotionnels inconscients. C’est la raison pour laquelle le sommeil et les rêves sont si importants. Les rêves brassent une très grande quantité de matériel émotionnel sans les réserves du moi conscient. A l’état de veille, l’ego contrôle les émotions afin qu’elles soient conformes à ce qui est socialement acceptable.

Lorsque nous sommes fous, l’ego est submergé et les émotions ont libre cours — à moins qu’elles ne soient médicamentées, paralysées, emprisonnées, réduites au silence. Les émotions universelles comme la peur, la colère, l’amour, la haine de soi, la luxure et le chagrin, génèrent toujours des pensées, ou même des voix apparemment désincarnées et des images intérieures représentatives de ces états émotionnels sous-jacents.
Toutes les émotions engendrent des mots et des images pour s’exprimer à l’intérieur de nous. Et nous avons également besoin d’exprimer cette vérité émotionnelle à ceux qui nous entourent. Et c’est la partie difficile, n’est-ce pas ?
Une expérience qui peut s’avérer intéressante est de garder le bras levé avant de s’endormir. Tandis que le sommeil nous gagne, nous commençons à entendre les conversations intérieures et à percevoir, sous forme d’images, la tonalité émotionnelle des mots qui viennent spontanément. L’ego n’est plus aux commandes, et tout mode d’expression verbale peut exister, de même que toute forme d’expression imagée. L’imaginaire, le monde idiosyncrasique du rêve s’anime. Au moment du sommeil, lorsque le bras s’abaisse, les mots et les images pourront être conservés dans la mémoire. Après quoi, on pourra se poser la question : quel était l’état émotionnel qui a donné naissance à ces mots et ces images ?
Cette expérience montrera à mon sens que, si nous remontons à la source des mots et des images, il s’y trouve toujours, et en premier lieu, une émotion. Qu’y aurait-il de plus précieux, en matière de connaissance de soi, que d’accéder à cette vérité qui nous traverse à chaque instant ?

En tant que thérapeute, soucieux d’amener avec compassion une personne vers davantage de connaissance sur elle-même, je tiens d’abord et avant tout à accueillir — quelle qu’elle soit — la véritable émotion qui tente d’émerger et de s’exprimer chez la personne que j’accompagne. J’accueille donc volontiers les voix intérieures, les mouvements du corps, la parole, les pensées et les images — et les rêves. Dans les sanctuaires de la folie où j’ai exercé — ces espaces affranchis de toute médication —, ce processus intérieur, qui consiste à accueillir librement l’émotion véritable qui fait irruption du plus profond de la psyché et du soma au cours de la folie, a été vu comme une expérience de transformation tout à la fois extraordinaire et totalement naturelle — expérience que les personnes touchées par la folie avaient besoin que nous soutenions (ce que nous avons tenté de faire comme si nous étions des sages-femmes durant un accouchement).
Je crois que ma folie, il y a 46 ans de cela, et la folie de ceux qui j’ai accompagnés ces 35 dernières années, était nécessaire parce qu’à l’intérieur de nous, la vérité émotionnelle était tout simplement gelée, et il aura fallu le mystère initiatique de la folie pour permettre à cette vérité de parvenir à la surface, où elle a éclaté par la suite.
Comme je plains ceux dont le processus est interrompu avant que cette émotion transformante et guérisseuse puisse totalement suivre son cours.
Ce que l’on appelle des médicaments anti-psychotiques sont véritablement des médicaments anti-émotions. N’est-ce pas les émotions incontrôlées que la bio-psychiatrie s’emploie à contenir ? Notre société n’attend-elle pas que la psychiatrie s’arrange pour que tout l’éventail de nos émotions tombe dans les normes socialement acceptables?
Encourageons-nous les uns et les autres à être libres afin de ne plus réprimer, supprimer, anesthésier ou tuer nos véritables émotions. Sauf erreur, ce sont les seules vérités que nous possédons vraiment.


— Traduction : Michèle Le Clech, by courtesy of Dr. Michael Cornwall
Article original paru dans Mad In America: Our Emotions, the Sole Creators of Every Word, Voice, Symbolic Image, Bodily Movement and Thought
— Voir aussi The Icarus Project (guide traduit en français)


Les traductions sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution

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