Traduction de l’article de Robert Moss, The unexpected guest at the door
Le plus aimé des poètes soufis, Jalaluddin Rûmi, m’a inspiré un jeu pour mes ateliers, et je voudrais le partager ici. Le but est de regarder d’un peu plus près certaines humeurs ou sentiments qui se présentent à notre porte comme des invités indésirables, nous détournant de ce que nous essayons de faire et pouvant même nous enlever toute énergie ou joie de vivre. Ces sentiments « négatifs » qui surgissent vont de l’impatience ou de l’anxiété à la rage, la culpabilité ou la peur. Mais nous pouvons aussi être dérangés ou submergés par des sentiments qui ont une meilleure réputation — comme l’empathie ou la pitié — si nous ne savons pas les contenir ou les canaliser.
L’idée générale se trouve dans un poème de Rûmi intitulé La Maison d’hôtes. J’utilise ici la très belle version de Coleman Barks. Dans le poème de Rûmi, chacun d’entre nous est comme une maison d’hôtes où des visiteurs arrivent à toute heure, et nous devons être prêts à les recevoir de façon appropriée. Ces visiteurs sont des humeurs et des sentiments.
L’être humain est un lieu d’accueil,
Chaque matin un nouvel arrivant.
Une joie, une déprime, une bassesse,
Une prise de conscience momentanée arrivent
Tel un visiteur inattendu.
Le conseil de Rûmi : « traite chaque hôte avec respect », peut-être chacun d’eux « te prépare-t-il à de nouveaux ravissements. »
Le jeu commence ainsi : imaginez-vous à la porte de votre maison — votre véritable maison ou la maison où vous voudriez vivre — c’est en tous cas une maison d’hôtes où les visiteurs peuvent se présenter à tout moment. Maintenant, imaginez qu’un sentiment qui vous pose problème est à votre porte. Vous allez ouvrir, nommer ce visiteur et observer la forme sous laquelle il se présente, inanimée ou personnifiée.
Ensuite, et c’est la partie la plus importante, réfléchissez à ce que vous allez faire de ce visiteur. Le renvoyer a peu de chance de marcher : les sentiments que vous niez trouveront un moyen pour vous obséder et vous déposséder de votre énergie. Par ailleurs, avec certains sentiments — en particulier la peur, l’esprit destructeur — la meilleure stratégie (en opposition à Rûmi) est peut-être de ne pas les emmener à l’intérieur même de la maison, mais plutôt de les mettre dans une sorte de « salle d’attente » et d’appeler à l’aide pour composer avec eux.
La première fois que j’ai joué à ce jeu dans un de mes cercles, j’ai rencontré Impatience à la porte. Elle avait l’apparence d’un jeune homme débordé, la version pompeuse de moi-même en costume d’homme d’affaire imbu de lui-même, qui pensait vraiment que le monde devait lui laisser le champ libre à chaque fois qu’il voulait quelque chose. Je n’en avais rien à faire du tout, mais j’ai tout de même joué le jeu en lui montrant un endroit confortable, l’incitant à enlever son manteau et à desserrer son col, en lui procurant de bons livres et des films sur DVD et l’encourageant à profiter de tout ce qui était disponible pour lui tout en se détendant et en permettant aux événements qu’il attendait de se produire naturellement.
Une femme du groupe a rencontré Empathie à sa porte. L’empathie ressemblait Kwan Yin, mais elle était entièrement faite d’eau. Le défi était de composer avec elle sans être submergé par l’émotion au point de se noyer. Au cours de notre expérience (aidée par le tambour) cette femme a réussi à contenir et à canaliser efficacement toute cette eau et cette émotion.
D’autres joueurs ont rencontré et nommé une foule de démons personnels, y compris les « démons de midi », la dépression et le désespoir. Parmi eux : anxiété, culpabilité, remords, colère, apitoiement sur soi, tristesse, auto-suffisance, ressentiment, Domination (notez le D majuscule dominant). Pour composer avec ces hôtes indésirables, les propriétaires de maison d’hôtes ont utilisé plusieurs stratégies. Un des joueurs a rempli sa maison de musique pour apaiser et réconforter Remords. Un autre a rencontré une terrible Angoisse à la porte, l’a douchée et lui a fait revêtir une robe vaporeuse et confortable. Parfois, d’autres résidents de la maison d’hôtes se sont présentés pour aider, la joie dépassant la peur ou la tristesse.
Jusqu’à présent, à part moi, je n’ai encore entendu personne nommer un des démons les plus délicats, l’un des pères du désert appelé Acedia (« ah-SEE-dee-yah »). Il s’agit du plus meurtrier de la tribu des démons de midi, un détraqué au cœur sec qui aspire la joie et l’énergie de toute chose. Acedia (la mélancolie) c’est l’absence du goût de vivre. Il est si épineux qu’à un moment donné, il a réussi à faire en sorte que les savants éditeurs de l’Oxford English Dictionary le déclarent « obsolète » tout en ricanant dans le creux de la main… « Je reviendrai ! » La prochaine fois qu’il se présente à ma porte, j’essaierai de voir comment composer avec lui et j’en parlerai — en supposant que j’y réussisse, c’est pourquoi ça me soucie toujours.
Vous voulez jouer à ce jeu ? Imaginez un sentiment indésirable à la porte. Donnez-lui un nom et observez-le. Ecrivez ensuite ce qui vous vient et voyez comment, dans votre vie, vous pouvez composer avec ce visiteur.
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La plupart de ses livres, neuf au total, sont des best-seller et traitent du rêve, du chamanisme et de l’imagination : Conscious Dreaming, The Secret History of Dreaming, etDreaming the Soul Back Home.