Il ne peut y avoir de changement de société sans changement humain, et il ne peut y avoir de changement humain sans le changement de chacune et chacun de nous.
Cette affirmation, plus actuelle que jamais, est une sorte de lieu commun. Elle va de soi, pour peu que l’on y réfléchisse. En la circonstance, le fameux « Connais-toi toi-même » reprend son acuité et sa vérité. Le philosophe indien Krishnamurti ne cessait de répéter : « Nous sommes le monde et le monde est nous ». Nul ne peut se soustraire à sa responsabilité d’être humain. Sauf à choisir, avec toute notre conscience, de mettre nous-même fin aux processus de la violence sous toutes ses formes (économique, idéologique, militaire, mais aussi domestique, éducative, sexiste, relationnelle, etc.), les exactions de l’homme contre l’humain et contre la nature finiront avec notre propre extinction.
La clé du changement est intérieure.
Pour autant, ni les philosophies, ni les religions, ni les croyances de toutes obédiences ne semblent en mesure de régler cette question. Aucune d’entre elles ne joue la même partition. Pire, elles sont, par la diversité des points de vue, trop souvent divergentes et elles-mêmes causes de dissensions meurtrières depuis la genèse de l’histoire du genre humain. Les événements actuels sur toute la planète mettent en évidence que nous n’avons toujours pas éradiqué la violence. Nous y sommes même de plus en plus dévoués, avec les armes terribles dont la prolifération témoigne de la faillite de notre condition.
Je soupçonne la conscience de notre finitude, et l’angoisse qu’elle provoque, d’être à l’origine du marasme où la psyché collective s’enlise, suscitant la quête éperdue de sécurité. Nos actes sont comme guidés par la tentative d’abolir coûte que coûte cet insoutenable verdict, et de conjurer ce qui menace notre fragile et éphémère existence. Ainsi, les domaines physique comme métaphysique peuvent être les objets d’une spéculation chargée de dissiper l’insurmontable angoisse. Pour certains, les croyances dogmatiques sont un recours lorsque la voie de la raison et de la rationalité n’offre aucune certitude. J’invoque, quant à moi, en accord avec Socrate qui affirmait savoir qu’il ne sait pas, l’ignorance suprême. Notre planète, joyau parmi les joyaux au sein de l’immensité, est d’une beauté que le langage est souvent incapable d’exprimer sans recours à la poésie, comme quintessence de ce que l’être humain peut dire pour manifester sa jubilation.
Cependant, il m’est personnellement difficile d’imputer au fait du hasard le principe de Vie, comme échoué sur cette matrice merveilleuse il y a environ 4 milliards d’années. Comment nier la présence d’une sorte d’intention dont nous aurions trahi la bienveillance par nos petites et grandes transgressions ? L’être humain, prisonnier de ses propres peurs et angoisses, tente d’observer le réel et la réalité dont il est lui-même l’un des témoignages. Sa vision fragmentée introduit ainsi le malentendu qu’il nous faut dissiper, car tout ce qui constitue le vivant nous constitue, et rien ne saurait être séparé. Ainsi sommes nous l’eau, la matière terrestre et minérale, le souffle, la chaleur, etc. Nous partageons ce qui est avec tout ce qui vit. De ce constat surgit une question majeure : pourquoi, dans l’ordre unitaire et coopératif originel, avons-nous exalté le principe de dualité et d’antagonisme, et toutes les horreurs qui en découlent ? Sommes-nous condamnés à nous infliger sans cesse les souffrances que nous déplorons, et jalonner notre histoire des horreurs à nous seuls imputables ?
L’être humain, la société humaine, doivent changer de cap, et confier leur destin aux forces du cœur plutôt qu’au pouvoir trompeur de la peur et de la division. L’être humain est en grande partie responsable de sa condition sur terre. Ces considérations une fois admises confirment bien que sans changement humain il ne peut y avoir de changement de société. Cette proclamation peut devenir une incantation stérile sans un examen attentif de ce qu’elle implique pour chacune et chacun d’entre nous, à travers nos réalités individuelles et collectives. Sommes-nous capables de transcender nos réactions primaires pour nous élever au rang d’êtres humains libérés des oripeaux d’une histoire révolue et pourtant, sans cesse, redondante ?
Nos choix politiques et militants ne suffisent pas : nous pouvons manger bio, manifester contre le nucléaire, recycler nos déchets, retourner à la terre et, pourtant, nuire à nos semblables et perpétuer la souffrance. C’est pourquoi l’action de la campagne « (R)évolution Intérieure » du mouvement Colibris se justifie pleinement. Affirmer que le changement de la société est subordonné au changement de l’être humain est encore une fois une vérité absolue. Bienveillance, générosité, partage, équité, empathie, solidarité sont finalement des manifestations d’une conscience créatrice d’un monde libéré.
Cette énergie extraordinaire appelée « amour » est, sans le moindre doute, la plus grande énergie de transformation du monde. Elle est la vraie révolution intérieure.
Pierre Rabhi, cofondateur du Mouvement Colibris