L’enfer, c’est les autres

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ShadowSi la conscience, armée du seul intellect, croit pouvoir aborder les images des rêves sans trop de risques — et sans trop se mouiller —, c’est peut-être qu’elle s’imagine que les concepts et les théories garantiront sa protection. C’est oublier cependant que les images ont une vie propre, un parfum particulier, une musique bien à elles. Et à ce titre, elles ne laissent pas le cœur indifférent…
Bien au contraire.
L’âme est touchée, elle y voit même une invitation… et, naturellement, est tentée d’y répondre.
Mais pour nous autres, Occidentaux, loin d’une élévation — nous sommes déjà si haut perchés —, il s’agit bien souvent d’une descente dans nos enfers  là où, à notre insu, se déroulent les guerres que nous projetons sur l’extérieur et qui font que, soudain, selon les mots de Sartre, « L’enfer, c’est les autres. (1) »

Pour la raison toute puissante, répondre à l’invitation a donc comme un goût de fin du monde. Fébrile (elle n’est guère préparée), elle peine à accepter que son univers est tôt ou tard voué à la destruction.
Elle devine également qu’un énième enseignement ne lui servirait de rien. Les voies conventionnelles ne l’aideront pas.
Aussi, pour un temps, la fuite sera parfois la seule réponse.

Mais si le voyageur répond à l’appel de son âme et s’enhardit sur le chemin, il pourra bientôt voir que ce qui est dehors est comme ce qui est dedans… et que le temps est le meilleur ferment de l’œuvre.
Fort de ce secret, il ralentit le pas, s’applique à aborder patiemment ce qui se présente — avec une certaine prudence même. Si son premier mouvement est toujours binaire (bien/mal, rationnel/irrationnel), ou bien dans le rejet, la critique ou la condamnation (ainsi son éducation le veut-elle), il a toutefois bien conscience qu’un tel modus operandi le perdra.
Mais changer son mode de communication n’est guère facile dans un monde où les arguments, négatifs la plupart du temps, ont la part belle et constituent un lourd héritage. Les rêves s’emparent donc volontiers du téléphone portable que l’on perd, que l’on doit changer, qui capte mal (!) ou qui ne fonctionne plus, etc. pour illustrer avec justesse, outre nos difficultés de communication, le fait que nos « mobiles » ne sont pas toujours accessibles, que nous les avont perdus de vue ou qu’il nous faudrait en changer.

Et en effet, si notre intention est de nous relier aux autres plutôt que d’essayer d’avoir gain de cause ou de garder le contrôle à tout prix, il est à fort parier que la communication prendra une toute autre tournure. Sur le plan intérieur, nous risquons moins d’être entraînés dans une guerre intestine, luttant pour savoir quel côté de nous aura le dernier mot : nous nous offrons plutôt le luxe du choix conscient et de la convergence.
La paix qui en résulte est inestimable. Que d’énergie perdue à tenter d’avoir raison, de préserver à tout prix une pseudo harmonie, de s’imposer telle ou telle chose ou de choisir un camp et de s’y maintenir coûte que coûte.
C’en est même épuisant.
L’intellect délaisse donc un jour ses livres, ses plans, ses calculs, ses techniques et ses notes, renonce même, le temps d’un rêve, à réfléchir et, bravement, accepte d’entrouvrir la porte sur ce qu’il sait le répugner le plus au monde (et sonne aussi pour lui comme la chronique d’une mort annoncée) : ces étranges mouvements qui se rappellent régulièrement à lui et le dérangent, et qu’il sent se produire en dehors de la boîte crânienne, quelques étages plus bas, découvrant étonné que vulnérabilité et courage sont intimement liés.

— © Michèle Le Clech

(1) Jean-Paul Sartre, Huit clos, Gallimard, 2000.

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