Rêve et mansplaining

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mansplaining

Ton idée sonne tellement mieux quand je la reformule.

Qu’on en soit témoin ou qu’on le subisse, la plupart d’entre nous connaissent ce qu’on appelle aujourd’hui le mansplaining, ou l’explication qu’un homme sert avec condescendance à une femme à propos de ce qu’elle vient de dire, sur ce qu’elle devrait faire, comment le faire… ou finalement pourquoi ne pas le faire.
(J’invite au passage mes amis anglophones, à suivre ce lien vers un extrait de l’émission de Jimmy Kimmel et le jeu auquel s’était prêtée Hillary Clinton.)

Cette attitude a des racines si profondes à travers le temps — pensez aux mystiques femmes et à leurs confesseurs ou, plus près de nous à Sabina Spielrein (1) — et elle est si répandue, que nous l’avons malheureusement intériorisée, jusqu’à la resservir à l’extérieur.
La mecsplication s’exerce toutefois en premier lieu à l’intérieur.
Ainsi peut-on voir dans les rêves de femmes des personnages masculins qui délivrent leur message avec force conviction sitôt que la voix du féminin se fait entendre. Ils font la leçon, condamnent et font avorter mille projets, paroles ou écrits ou même mouvements, infantilisent parfois (surtout rester « petites » !) Ces messieurs reformulent à l’aide de tournures plus « académiques », redressent, rajoutent, figent, mutilent au nom de l’esthétique et, pour le profit ou la gloire, dérobent ce qui leur semble plein de valeur ou de promesse,  sans gratitude aucune pour la terre qui porte fruit et dépossédant le Féminin de sa valeur.
Sans doute ce modèle masculin, coupé de la nature, n’entend-il que peu de chose à ce qui en est au stade de l’embryon ou à ce qui est nouvellement né, à part le supprimer, s’en emparer et le formater selon sa vision des choses — ou le ramener à ce qu’il connaît déjà.
Tout cela vient heurter le principe réceptif, heurter cette capacité extraordinaire à renouveler, à mettre au monde quelque chose de précieux qu’il s’agit avant toute chose de nourrir.

Cela ne concerne pas seulement les femmes ; ce même modèle masculin répressif et condescendant apparaît dans les rêves des hommes ; il représente une ombre masculine collective, un côté sombre du patriarcat qui agit également dans leur psyché de façon désastreuse. Sans aucun égard pour le principe féminin que les hommes portent aussi en eux, cette ombre blesse également l’authentique virilité au lieu de l’honorer — « Beaucoup de garçons définissent simplement la masculinité : ce qui n’est pas féminin. (2) ».
Cela engendre un grand sentiment de solitude, l’obligation de contrôler à tout prix ce qui émerge du domaine du Féminin, laissant à beaucoup d’hommes l’impression d’être isolés, coupés des autres, même en étant très entourés.
En conséquence, chez les hommes comme chez les femmes, il n’y a plus que du doute à propos de capacités naturelles, et une profonde tristesse et du découragement s’ensuivent…

Il n’y a pourtant aucun doute, le Féminin sait prendre soin de ses enfants, intérieurs ou pas. Mais, entre des mains avides, l’enfant intérieur se voit coupé de la source qui l’a vu naître, et ce qui viendra l’alimenter sera tout simplement artificiel. Les plus belles intentions sont donc parfois à la merci d’un animus qui ne sait que prétendre, c’est-à-dire réclamer, affirmer (généralement haut et fort) ou tendre en avant alors que l’intention, tout juste née, est à peine viable.

Les rêves sont un véritable cadeau du ciel pour suivre l’animus ou l’ombre à la trace, et nous permettre de protéger l’enfant et de l’alimenter comme il convient. L’âme est en effet pourvoyeuse de nourriture, et c’est ce que l’on vit, émerveillée, lorsqu’on opère un retour à soi et que l’on retrouve sa nature féminine. On constate également qu’il n’est nul besoin d’user de technique et de mots savants… pas plus que nous n’avons à soigner la dépression (ou pire à « lutter contre ») mais, amoureusement, à laisser le mystère dont elle est grosse se révêler de lui-même. Je ne résiste pas au plaisir de citer Marie-Louise von Franz :

Lorsqu’un nouveau contenu de l’inconscient fait son chemin vers la conscience, il utilise de l’énergie, ce qui se traduit d’abord en surface par une perte de libido, une dépression, un vide, jusqu’à ce qu’on comprenne ce qui vient des profondeurs et ce qui s’y produit.

Comment envisager un instant que la nuit a besoin d’être réparée ?
Chacun sait qu’elle enfante l’aube nouvelle.
Ainsi en va-t-il de l’âme qui, à chaque nuit obscure, nous réenfante. Dans les temps sombres que nous vivons, chaque femme qui emprunte le chemin immémorial de l’âme voit, au fil des rêves, la conscience féminine se défaire peu à peu de l’emprise du patriarcat. L’essence même de sa nature féminine, terriblement agissante et puissamment transformante se déploie… et la conscience masculine se transforme à son tour sous l’influence d’une sagesse toute intérieure.

Ne nous délaisse pas
Toi le féminin
Hormis ton sein
quel lieu pour renaître ? (3)

Si la contribution de l’esprit est magistrale de clarté, d’éloquence et d’intelligence, il n’en est pas moins vrai que, sur certains sujets, l’expression féminine, plus douce et plus diffuse, laisse toute sa place au mystère et à l’invitation qu’il laisse dans son sillage.
Les mots du Féminin sont comme le chant des arbres. Il vient toucher cette part profonde de la psyché qui connaît et chérit ce langage au-delà des mots, qui nous fait déceler la tempête dans le ton d’une voix ou ressentir dans un silence la douce brise qui berce l’âme.
Plutôt que de parler de, le Féminin incarne.
C’est là sa puissance.
Il est présence. Et non quelque chose d’inaccessible, tout là-haut, véhiculé par des paroles qui viennent expliquer d’autres paroles.
Veut-il évoquer le silence…
Il se tait…

Viens, semble-t-il dire, goûte !
C’est ainsi qu’il est le plus parlant.

Souhaites-tu le changement ?
Ne le recherche pas, dit-il.
Sens-le dans tes tripes, laisse-le grandir en toi, sois patiente… attends.
Laisse ces forces qui te dépassent te remettre au monde.
Même si c’est parfois douloureux.

Le Féminin est aussi cette énergie, puissante et sauvage comme l’est la lionne qui cherche à protéger ses petits. Face à l’animus négatif, nous avons souvent besoin de cet instinct qui ne craint pas de rugir et de tenir tête au mâle (intérieur). Ce qui nous apparaît parfois sous forme de rage — et peut nous faire peur — est vraiment instinctif, et c’est une réaction naturelle à ce qui agit contre nature. Si nous parvenons, en tant que femmes, à faire face à cette rage, et à faire de cette rage une alliée intérieure, nous seront de nouveau en mesure de vénérer, au sein de notre royaume intérieur, une déesse dont la majesté n’a d’égale que celle du mâle. Il sera toujours temps, si besoin est, de traduire ses rugissements en un langage humanisé.
Le dialogue qui s’installe avec cette déesse nous libère de certaines chaînes et nous permet, tout comme elle, de nous montrer très protectrices à l’égard de nos portées intérieures, de faire preuve aussi de la plus grande prudence en cachant notre progéniture (c’est-à-dire en ne l’exposant pas trop tôt).
Les lionnes veillent en outre sur la progéniture d’autres lionnes : le lien avec cet instinct nous fait aussi retrouver les joies de la sororité.
Entourons-nous donc de ces lionnes dont nous croisons le chemin !

— © Michèle Le Clech


(1) My Name Was Sabina Spielrein
(2) R.E Hartley, « Sex-role pressures and the socialisation of the male child », Psychological Reports
(3) François Cheng, Le Livre du vide médian

Un article, paru dans le Figaro sur la Suède et le mansplaining


Comments 3

  1. Excellent !
    Beau et subtil, vrai et puissant…
    Rarement lu quelque chose d’aussi « juste » sur le Féminin…
    Merci pour la finesse avec laquelle tu décris cela…

    Amitiés.

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