Marie-Laure Colonna : masculin/féminin, mariage royal

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lunesoleilVoici le rêve d’une femme de quarante-cinq ans, cité par Marie-Laure Colonna dans « Guérir d’Osiris », Les Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 101

C’est la nuit dans le bush australien. Avec l’une de ses amies et la mère de celle-ci, elle nettoie et fourbit l’argenterie de la maison sous la direction d’une femme plus âgée. Cependant, mue par un pressentiment profond, elle abandonne sa tâche et se dirige discrètement vers une porte-fenêtre. Des familles aborigènes se rassemblent un peu en contrebas de la terrasse et contemplent le ciel avec attention : un événement sacré se prépare, qu’ils attendent depuis des générations. 

À l’horizon, à l’est, la lumière point, alors que le côté de l’Occident est plongé dans une obscurité totale. Mais, surprise ! C’est la lune pleine qui apparaît du côté habituel de l’aurore, tandis qu’à l’opposé, du sein de la nuit, jaillit le disque du soleil. Les deux luminaires montent rapidement l’un vers l’autre, les aborigènes et la rêveuse retiennent leur souffle. Que va-t-il se passer ? Le soleil et la lune vont-ils se heurter et s’anéantir, dans leur refus de se soumettre l’un à l’autre. Va-t-il se produire une catastrophe cosmique ? 

Parvenus au zénith, les deux astres semblent un instant hésiter, la lune est un peu plus brillante, plus dorée qu’à l’ordinaire. Le soleil, lui, semble un peu argenté. Soudain, dans le même mouvement, l’un et l’autre se décalent et ils apparaissent l’un au-dessus de l’autre, sans qu’on puisse dire maintenant, tant leur éclat est égal, qui de la lune ou du soleil soutient l’autre. 

Devant ce mariage, cette conjonction des opposés, les Aborigènes et la rêveuse sont tombés à genoux. La lune et le soleil commencent alors à s’éloigner l’un de l’autre en suivant leur trajectoire vers l’horizon opposé. 

Après le rêve, la jeune femme, tout emplie par le sentiment numineux et la beauté primitive des scènes de la nuit passée, peindra le tableau de cette grande conjonction qu’elle m’apportera à la séance suivante, en disant : « Je comprends que je ne dois pas suivre uniquement l’exemple des femmes de ma famille et de celles qui m’ont élevée, comme font, dans le rêve, mon amie et sa mère qui, trop occupées par leurs activités lunaires traditionnelles — l’argent est le métal de la lune — ne voient pas ce signe d’un temps nouveau. Ce signe, le mariage harmonieux du dieu et de la déesse, la nature plus instinctive, les Aborigènes, l’attend depuis très longtemps. Mais seuls ceux, qui peuvent se distraire de leurs devoirs habituels, qui peuvent se réveiller et se rassembler dans la nuit qui précède un nouveau degré de la conscience, sont admis à contempler le mariage royal. Dans cette union, le soleil et la lune échangent leurs territoires, et se donnent l’un à l’autre sans rien perdre de leur essence. Ils se conjoignent, ils se marient sans se mélanger, s’éclipser ou s’anéantir, pour une nouvelle naissance de la conscience, un mariage intérieur. »

[…] Dans ce hieros gamos entre le masculin et le féminin, chaque fois qu’il se produit dans une psyché individuelle, naît une conscience adoucie, moins autocritique, plus équanime dans ses relations aux autres et au monde.

Comments 1

  1. Le simple lecteur du rêve que je suis s’agenouille, lui aussi – une fois encore – devant la grâce et le génie du « Faiseur de rêves » * capable de faire naître un tel tableau vivant, à la fois naïf et très subtil, pièce unique produite tout spécialement à l’intention de la rêveuse.

    La remarque à propos de la «…conscience adoucie, moins autocritique, plus équanime dans ses relations aux autres et au monde. » me semble être très juste, très pertinente.
    « Plus équanime » : d’une âme plus égale (Lat. aequanimus, de aequus, égal, et animus, âme, coeur.), le mot convient bien à décrire ce que montre le rêve…

    Cela me rappelle également qu’une telle réduction des oppositions et des tensions au sein d’une personnalité humaine individuelle contribue à la réduction de la tension globale au sein de la collectivité humaine. Ce qui est sans doute une chose très souhaitable afin que se poursuive l’Aventure humaine…

    * J’aimerais trouver une appellation « plus androgyne » mais elle ne m’est pas venue pour le moment… 🙂

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