L’os creux

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ssb_papagena1988

Art: Susan Seddon Boulet

Dans les rêves, il arrive que l’animus prenne les traits d’un shaman : parfois pour représenter l’esprit-mana auquel on risque de succomber, parfois aussi pour représenter celui qui vit entre deux mondes(1) et fait office de pont entre les rives.
Depuis le centre de notre être, ce guérisseur blessé exerce une si douce attirance que nous sommes peu à peu incitées à le rejoindre. Et si nous pouvons un jour sans trop de risque nous appuyer sur sa puissante musculature, c’est parce que sa force n’aura d’égale que sa défaite.

Dans son miroir bleu nuit elle voit,
Sur la lande aux premiers froids
Celui dont la parole fait loi,
Son amoureux, son geôlier, son roi,
Touché par un cruel destin :
Une lance, qui sournoisement son cœur atteint.

Effroyable est la douleur,
De son amoureux, son geôlier, son roi.
Près des trembles, la lance en terre demeure…
Des nuits, des jours, son nom en vain il cherchera,
Et à son effroyage peine ajoutera
L’insupportable torture de ne comprendre pas.

Il ignore qu’il faudra boire la coupe jusqu’à la lie,
Eprouver jusque dans sa chair ce dont il s’agit.
Des mots, ensuite, viendra le temps.
Mais il lutte, veut échapper à son tourment,
Encoure un danger des plus grands.
Le brouillard au Nord se lève…
Comme une armée d’ombres qui se soulève,
Menace de l’entraîner,
Et lui, ni mort, ni vivant, jamais, risque d’être emporté.

De grâce, Sire, mettez vous à l’abri,
Dans un murmure dit la voix.

Retenant ses larmes et de sa souffrance les cris,
Son geôlier, son amoureux, son roi,
Dans une grotte se traîne et résigné voit
Comme une porte qui se ferme semblant sonner le glas.

Dans un silence déchirant le Sol niger,
Enfonce alors ses rayons dans la terre.

L’espace et le temps basculent soudain…
Et toi mon roi, mon amour, tu lâches prise enfin…
Ton cœur est en lambeaux, mon corps une béante plaie.
Le sang sur le sol doucement se répand,
Et notre ciel s’obscurcit lentement.

Les esprits viennent, qui te tourmentent,
Mon amour, mon geôlier, mon roi…
Te vident de ta substance, de toute croyance,
Et pire, de toute espérance.

Par vague, nos larmes viennent nettoyer
Le lieu d’un supplice qui semble n’avoir pas de fin.
Au troisième jour pourtant, les flots se retireront enfin
Une pâle lueur on aperçoit alors
La nuit obscure laisse place à l’aurore.
Faible soulas pour qui n’est plus qu’un os creux.
Elle jette à terre le miroir bleu, maudit les Cieux…

A travers lande et forêt longtemps elle erre
Quand se dresse devant elle une infranchissable barrière.
De l’autre côté, une jolie voix claire…
Se remet à tourner la roue du destin.
— As-tu, jolie sorcière, remède à ces pleurs qui semblent n’avoir pas de fin ?
— Oui, viens, descendons dans le puits de chagrin.
— Vois, j’ai perdu mon amour, sa plume et mes mains…
Et de mes passions il ne reste plus rien.
— Descendons mon amie, dans le puits de chagrin,
Tout au fond, la médecine tu trouveras enfin.
Te voilà, dit la fée, dans un bien triste état, je le crains
Mais Dame l’âme n’en a pas fini encore,
Et l’os évidera, creusera encore.

De toi, mon amour, mon geôlier, mon roi,
Elle fait un esprit de la terre, un servant
Et ses messages, ses billets tu me tends.
Quand ma main dans ta main vient à se glisser,
D’une danse avec toi je me plais à rêver…

Un pas, un autre, débuts maladroits et faux pas,
Tu es, mon amour, mon chaman et mon roi,
Ce partenaire dont j’ai souvent rêvé.
Ton rythme n’est pas celui de cette société
Toi, tu prends le pouls de ta Belle, de Gaïa…
Et les battements sourds de la terre marquent le pas,
Martelant ton cœur, touché par son chant, sa musique, son tempo.
Tu le sais, je te l’ai dit déjà
Mon amour, mon chaman et mon roi
Combien j’aime ta voix

Qui honore des mots qui passent à travers toi.

— © Michèle Le Clech


Je fais référence au livre de Vera Bührmann, Living in Two Worlds: Communication Between a White Healer and Her Black Counterparts
Voir aussi l’article de carnets de rêves sur ce livre.

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