Chagrin d’amour

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Art: Gloria Martin

Les blessures du cœur sont difficiles à guérir — si jamais elles guérissent, m’écrivait une amie il y a de cela fort longtemps.
Certaines ruptures sont en effet si douloureuses qu’il semble que les années n’effacent en rien la souffrance ; la plaie semble rester béante, ou se rouvre à certaines occasions.
Ce qui rend cette blessure inguérissable est en partie (et en partie seulement)  liée à l’attitude que nous avons adoptée face à elle — souvent inconsciemment, et parfois sans en mesurer les conséquences à long terme. Pour faire face aux exigences de la vie, un côté de nous semble en effet s'attacher à l'idée qu'il faut couper court à l'expression du chagrin ; il s'opère donc une séparation entre la tête et le cœur, entre l’âme et le corps. Résultat : l’émotion est sous contrôle et nos besoins ne s’expriment plus… un peu comme si l’on se repliait sur soi-même, coupée de tout échange, baignant dans une atmosphère rarement renouvelée.

Un chagrin d’amour peut donc être l’ultime blessure qui nous endort pour longtemps, comme une sorte de malédiction, et ce n’est qu’au bout d’un long travail, des mois, parfois même des années, que l’on s’éveille enfin, sortant du confinement, du brouillard et de l’anesthésie émotionnelle dans laquelle on était.
La partie de nous qui ne vivait plus, trop vulnérable, trop abîmée, le cœur trop en miettes pour vivre ce pour quoi elle est faite, peut enfin trouver sa place au cœur de notre intimité. A-t-elle souffert d'une forme de froideur ? Notre entourage a-t-il été affecté ? Tant de questions que l’on peut enfin se poser quand on mesure à quel point on avait verrouillé l’accès à nos sentiments faute d’avoir l’espace, et peut-être aussi l’interlocuteur, nécessaires pour la laisser s’exprimer.
Au fil du temps, l’eau des larmes que l'on a retenues s’est accumulée et, faut d'attention suffisante, la situation a empiré au fil du temps, rendant certaines zones de notre espace intérieur inhospitalières.

Face aux larmes qui embuent notre regard en certaines occasions, on peut naturellement trouver toutes sortes d’explications ou de raisons extérieures.
Chagrin d'amour, oui, mais cette souffrance vient parfois de bien plus loin qu’on ne l’imagine. Et, en attendant de trouver d’où elle provient, il arrive que l'on se sente si vulnérable que l'on en vient à fuir tout échange : ce qui nous servait jusqu’alors de protection s’en va si facilement !
Dans ces moments d'extrême fragilité, on sait pertinemment qu'on a besoin d’aide… Et  de l'aide de quelqu’un qui saura offrir à notre cœur en lambeaux un espace suffisant pour que la souffrance puisse, en son temps, bénéficier de tout l’espace qu’elle réclame, sans jamais préjuger de ce qui la sous-tend. Et c'est auprès d'un « guérisseur blessé » que l'on trouve cet espace, sans quoi notre souffrance risquerait de réveiller celle de notre interlocuteur, elle même enfouie au plus profond de son espace intérieur. La présence du guérisseur blessé active notre propre médecine.

Les rêves sont ici d’une grande importance car ils mettent en image ce qui se passe : ce qui nous semble inguérissable n'est parfois pas ce que l'on pensait de prime abord, et le chagrin d'amour peut bien être l'arbre qui cache la forêt.
A la lumière des rêves, il apparaît que certaines blessures ouvrent grand la brèche sur quelque chose de bien plus ancien, d’ancestral : certains schémas familiaux se répètent en effet, des souffrances, des non-dits appartenant à la lignée familiale passent à travers les générations, activant une sorte de "mémoire cachée".
Dans Psychologie et éducation, Jung écrit :

L’enfant est à tel point inséré dans l’atmosphère psychologique de ses parents que leurs difficultés psychiques non résolues peuvent exercer sur sa santé une influence considérable. Par la "participation mystique", c’est-à-dire l’identité inconsciente primitive, l’enfant ressent les conflits des parents, et en souffre comme si c’étaient les siens propres. Les problèmes refoulés et la souffrance que l’on se donne l’illusion d’avoir écartés de sa vie distillent un poison secret qui, à travers les murs du silence les plus lourds, à travers le badigeonnage le plus sévère d’échappatoires intentionnellement trompeuses, finit toujours par pénétrer dans l’âme de l’enfant.

Pour réparer ce qui, en nous, ne fonctionne plus, pour permettre à l’énergie de circuler de nouveau entre l’âme, le corps et l’esprit, il nous faut donc entrer en contact avec la médecine de l’âme qui ne craint pas ces zones de la psyché où l’infection qui suppure depuis des générations dégage une odeur nauséabonde ; il nous faut une médecine capable d’opérer dans ces endroits où la souffrance d’un village (d’une génération, d’une région, d’une époque, d’une famille…) est telle qu’elle nous empêche tout simplement de vivre. Les rêves nous offrent cette opportunité et, petit à petit, lèvent le voile sur ce qui était tenu caché et interférait à notre insu avec notre vie.

Lorsque nous faisons face à nos blessures, aussi profondes soient-elles, même si c’est extrêmement difficile, même si nous avons parfois le sentiment de perdre pied — ou de n’en voir pas le bout —, nous permettons à nos enfants de n’être pas affectés (ou de l'être sacrément moins) par des blessures psychiques que nous aurions laissé s’infecter faute de soin, tout comme nous permettons à d’autres parties de nous de grandir sans dommage.
Agissant certes au niveau personnel, nous œuvrons aussi au niveau collectif car nous effaçons, à notre humble mesure, un peu du poids du passé, allégeant par conséquent un peu aussi le futur.

— © Michèle Le Clech

Comments 1

  1. Merci pour cette balise,ce point de repère dans la recherche des blocages et des valises du passé.
    Vous êtes là dans la psychogénéalogie. Chemin ardu, à peine tracé par certains et vous y apportez
    les rêves. Pourquoi pas. Sans doute apportent-ils des élément à interpréter, à percevoir. La connexion n’est pas nécessairement donnée. Elle m’intéresse, un jour peut-être sera-t-elle meilleure. Cordialement.

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