Marie-Louise von Franz : Mort, régression et renaissance (extrait)

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Mort, Régression et RenaissanceAvant-propos de la traductrice, Jacqueline Steib-Blumer (extrait)

Dans la dernière année de la soixantaine, il m’est échu un rêve « coup de tonnerre » qui me semble évoquer le thème du présent ouvrage. Mon intérêt avait alors déjà été suscité par les six articles des cinq auteurs partageant tous un même esprit de recherche en psychologie des profondeurs de C.G. Jung — dans laquelle mesdames Marie-Louise von Franz et Barbara Hannah, aujourd’hui décédées, font figure de pionnières —, mais je n’avais fait que commencer la traduction.
Le songe qui se présentait au cours d’un resplendissant mois de mai, s’ouvrait sur « un paysage ensoleillé, une nature luxuriante, dans laquelle nous avons marché. Invités à rentrer maintenant, à la fin d’une belle excursion estivale, mon compagnon et moi obéissons à l’injonction et traversons un grand champ fraîchement retourné, à la terre meuble, très fertile et prête à être ensemencée. Arrivés en haut de la pente, où un bus doit venir nous prendre pour nous ramener chez nous, nous sommes soudain plongés au coeur d’une formidable tempête de neige.
Quand le tourbillonnement cesse, une épaisse couche de neige poudreuse très blanche couvre le sol et les silhouettes noires, dénudées, anguleuses des arbres et arbustes se détachent sur le blanc et gris du paysage à présent hivernal. C’est d’un seul coup le plein hiver. J’aperçois devant moi un hibou moyen-duc qui vient de se précipiter en piqué dans un amas de cette belle poudreuse et qui s’y agite et trémousse pour nettoyer ses plumes souillées d’un sang rouge vif. Nullement blessé, il est enivré de ce sang très rouge.
Me retournant, je vois un peu plus loin un merle noir qui semble tirer sur un ver qu’il s’apprête à avaler, mais il s’agit en fait d’un filament d’entrailles ou de nerfs arraché à l’intérieur d’une carcasse noire éviscérée, grande et large, de vache ou de yak, qui gît dans la neige, évidée comme une grotte ou cavité ; je vois ce cadavre de dos, l’arrière qui forme un monceau foncé. À ma gauche j’aperçois un corbeau freux : sautillant sur ses deux pattes il sort d’une grande flaque rouge de sang qui a coulé de son plumage et dans laquelle il patauge, après s’être, lui aussi, baigné dans ce sang et enivré de lui. Et un deuxième hibou moyen-duc, arrivé à tire d’aile, plonge en piqué dans la neige, comme le premier qui s’y trouvait déjà, également pour nettoyer ses plumes ruisselantes de gouttelettes de sang. Et pour finir, voilà une deuxième corneille qui s’envole après avoir secoué ses plumes ensanglantées, abandonnant dans une vaste flaque de sang une sorte de « joug » : un grand ossement en forme de bassin (sacrum) qu’elle avait dû tirer à l’écart de la carcasse pour s’en repaître. »
Je m’éveille ayant encore devant mes yeux ce blanc paysage d’hiver, surligné de noir par le tas noir que forme le cadavre, les lignes anguleuses et biscornues des branches végétales et les silhouettes des trois oiseaux noirs – deux corbeaux et un merle -, et dans lequel s’étalent de larges taches rouge vif de sang qui a coulé en abondance ; il s’y ajoute le beige clair, roux et noir entremêlés du plumage des deux hiboux moyens-ducs, oiseaux nocturnes. Tableau impressionnant, haut en couleur, très stylisé, tels ceux du peintre expressionniste norvégien Edvard Munch.
Étant donné que le noir, le blanc et le rouge sont les trois couleurs principales de l’oeuvre alchimique, tout porte à croire qu’il s’agit là, d’une façon ou d’une autre, de « transmutation ».

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