Anne Baring : l’éveil au fémin

MicheleEdition

Terre, n’est-ce pas ce que tu veux : invisible en nous renaître ?
Quelle tâche, sinon de transformation, imposes-tu ?
— Rainer Maria Rilke, 9e Elégie de Duino 

Illustration : Robin Baring

Illustration : Robin Baring

Le sujet principal du livre que j’ai écrit avec Julie Cashford il y a environ vingt ans — The Myth of the Goddess — était que le développement de la civilisation occidentale repose sur la scission entre l’esprit et la nature, le créateur et la création. Cette dissociation a pratiquement détruit l’ancien point de vue chamanique qui percevait la présence de l’esprit dans le monde phénoménal, et a ouvert la voie à son exploitation outrancière. Le Féminin — autrefois associé à l’image de la Grande Mère et de la Grande Déesse des premiers peuples et au sentiment profond que le monde faisait partie d’un Ordre cosmique sacré — a été relégué dans l’inconscient. Aujourd’hui, notre vision du monde repose sur les prémisses de notre séparation d’avec la nature et de sa domination. Les ressources de la planète sont pillées de façon irréfléchie pour répondre à la demande toujours croissante de notre espèce.

Il y a très longtemps, l’aspect sacré de la vie et le lien avec le Cosmos participaient d’un sentiment profond, naturel, partagé par l’ensemble de l’humanité. Puis, d’une façon quasi imperceptible, cela s’est perdu. Depuis des siècles, un gigantesque problème trouble l’eau de l’âme : comment la voix du Féminin, si longtemps étouffée, la voix de l’âme, peut-elle être entendue dans une civilisation patriarcale par son organisation et ses croyances qui repose d’une part sur l’image masculine d’un Dieu trônant à la tête des religions et d’institutions entièrement créées par les hommes et, d’autre part, sur un paradigme de clivage qui glorifie depuis des millénaires la puissance, la conquête et la maîtrise de la nature ? Comment parvenir à reconnaître de nouveau le caractère sacré de la Terre, celui de l’Univers, et le rôle que nous pourrions jouer dans le grand théâtre cosmique si nous étions de nouveau capables d’être en harmonie avec lui ?

Le Féminin n’est plus entendu depuis longtemps, mais sa voix est nécessaire pour guérir l’état de désolation actuel de la planète et des milliards d’hommes, de femmes — et surtout d’enfants — dont la vie est brisée ou détruite par la cruauté humaine, la cupidité et l’ignorance. Des siècles de conflits entre les nations, les religions et les groupes ethniques exigent que nous trouvions aujourd’hui le moyen de transcender ce modèle archaïque de comportement, faute de quoi nous risquons de détruire notre propre espèce. Allons-nous choisir d’imiter les modèles du passé, ou allons-nous épouser l’immense transformation de la conscience nécessaire à la construction d’un avenir complètement différent pour les générations futures ?

La profanation de l’Anima Mundi ou Âme du monde

La disparation du Féminin et la perte de l’âme ont des conséquences incalculables sur le monde. La connaissance instinctive de l’unité des choses et du sacré, le respect de l’interconnexion de toutes les formes de vie, la confiance dans le pouvoir de l’imagination et de l’intuition — toutes ces façons d’appréhender la vie par la participation plutôt que par la domination et le contrôle — tout cela a presque disparu. Les effets de cette perte d’âme sont partout visibles de nos jours, non seulement dans la dévastation et la pollution de vastes étendues de terre, mais dans l’existence malheureuse, pauvre et dépourvue d’espoir dont souffrent les habitants de ces horribles banlieues toujours grandissantes, ainsi que dans l’augmentation des maladies comme le cancer, le diabète et les problèmes mentaux — en particulier la dépression. Les personnes âgées sont négligées et même maltraitées dans une culture plus intéressée à réaliser des objectifs qu’à veiller aux bien être des gens. On n’offre aux jeunes aucun idéal au-delà des intérêts matériels mis en avant par les médias. L’exploitation du corps des femmes dans le but de vendre toutes sortes de marchandises est avilissant. Le cœur de l’homme a désespérément besoin de beauté, de sanctuaires, de relations et de communautés où ce qui est dedans est tout aussi important que ce qui est dehors et dans lesquels l’unité et l’aspect sacré de la vie sont reconnus et honorés.

A l’échelle de la planète, les forêts ne sont pas considérées comme des lieux sacrés, mais sont détruites pour fournir papier et emballage ou implanter des fermes d’élevage ou de culture pour la production de biocarburants ; on creuse les montagnes pour en extraire les matériaux nécessaires à la construction des réacteurs nucléaires, des ordinateurs et des téléphones mobiles ; des explosions éventrent, fracturent et défigurent de grandes étendues de terre pour l’extraction du pétrole ou du gaz de schiste ; on construit des bases militaires et des rampes de lancement pour missiles guidés sur des terres sacrées qui appartenaient autrefois à des hommes dont les ancêtres avaient vécu là pendant des siècles (Diego Garcia dans les îles Chagos). On pille l’Arctique pour extraire le pétrole et le gaz dont nous avons besoin. En Afrique, on achète de vastes terrains pour la production de biocarburants ou de nourriture pour les pays dont le rendement des terres est insuffisant face à la population grandissante. Les animaux sont estimés en terme de quantité de nourriture nécessaire à l’alimentation d’un nombre toujours croissant d’individus, mais on ne se soucie pas de leur bien-être : le massacre des éléphants et des rhinocéros d’Afrique, des baleines et des dauphins se poursuit de façon aveugle au quotidien.

Qu’est-ce que cette exploitation à outrance sinon un crime — un écocide — où notre espèce détruit l’habitat dont dépendent toutes les espèces ? Cet écocide mène non seulement à la destruction de l’environnement, mais aussi à des guerres en lien avec la diminution des ressources, et des crimes contre l’humanité à mesure que les conflits se multiplient.

Ce processus s’est accéléré et les pays ont bientôt été considérés comme des marchés à exploiter au nom du profit ; si cela s’avère nécessaire, les traders mettent l’économie à genoux, sans une seule pensée pour les millions de personnes sans défense dont la vie et les moyens de subsistance pourraient être anéantis. Les politiciens débattent des coupes radicales à opérer dans les dépenses afin de réduire le montant faramineux de la dette nationale, une dette engendrée au fil des années par des emprunts inconsidérés et des promesses faites à l’électorat pour s’assurer d’une réélection. Les décennies se succèdent tandis que les hommes débattent des avantages et des inconvénients du changement climatique, et seule une petite partie des fonds promis par les gouvernements pour la protection des forêts tropicales atteint sa destination. Il existe bien une Charte de la Terre qui véhicule des valeurs et des fondamentaux sur la question d’une relation différente avec la planète, mais les gouvernements et les multinationales en font très peu cas. Tout cela pourrait être qualifié de profanation de l’Anima Mundi ou l’Âme du Monde.

La définition du Féminin

Dans le sens le plus profond du terme, que signifie le mot « Féminin » ? Comme je le rappelle dans mon livre, The Dream of the Cosmos, ce terme ne fait pas référence au sex-appeal féminin si vanté dans notre société, ni aux qualités de compassion et de douceur qu’on attribue généralement, mais non exclusivement, aux femmes, pas plus qu’au programme féministe de l’émancipation des femmes dans un monde d’hommes.

« Féminin » est synonyme d’âme, l’invisible toile cosmique de la vie qui relie chacun d’entre nous aux autres, à la vie de la planète et, de façon plus générale, à l’univers. Il implique la reconnaissance du fait que l’on vit au sein d’un Ordre Sacré et qu’il est de notre responsabilité de protéger la planète et toutes les espèces qui l’habitent, au lieu de l’exploiter au profit de notre seule espèce. En résumé, le « Féminin » désigne un tout autre regard sur la vie, un paradigme ou une vision du monde et de la réalité totalement différents, et des valeurs de sentiments qui pourraient refléter et étayer cette vision du monde. Il représente une nouvelle conscience planétaire et la tâche difficile de créer une autre forme de civilisation.

Si nous ne sommes pas de nouveau reliés à l’âme ou guidés par la sagesse du Féminin, si nous ne nous mettons pas en quête des valeurs qu’il représente et si nous n’ouvrons pas notre cœur à ses précieux conseils, nous ne saisirons pas le but de notre présence sur cette planète, pas plus que nous ne serons capables de contrôler les tendances ataviques inconscientes qui nous mènent toujours davantage vers la destruction de notre habitat et vers l’auto-anéantissement.

A l’image du magma qui entoure le noyau de la terre, le principe féminin longtemps refoulé émerge à la rencontre du masculin répondant à une impulsion profonde de l’âme d’épouser et de restaurer, en nous et dans le monde, l’équilibre entre ces énergies archétypales. La résurgence du Féminin invite à une nouvelle conscience planétaire dans laquelle les mouvements du cœur les plus profonds chez les hommes et les femmes — la compassion, l’intelligence éclairée et le désir de protéger, de guérir et de restaurer la totalité — peuvent s’exprimer d’une manière que l’on pourrait qualifier de dévotion à la vie planétaire et cosmique.

L’éveil au Féminin implique la protection de toute la création ; la fin d’une vision de la vie et des autres fondée sur la séparation ; la naissance d’une approche totalement différente de la réalité. Nous en sommes de plus en plus conscients et, dans le même temps, nous sommes déjà en train de réaliser que notre existence dépend de l’intégrité et de la durabilité de la biosphère. Lorsque nous comprenons les implications du « mariage » des deux principes élémentaires archétypaux, notre image de la réalité et notre relation avec la planète et avec les autres sont transformées. Le retour du Féminin a le même impact qu’un séisme planétaire, faisant disparaître les structures sociales établies de longue date, les systèmes politiques et financiers et les institutions religieuses, attendant la transformation radicale de notre compréhension de la vie.

L’influence du Féminin se retrouve dans l’ampleur du mouvement écologique ; dans la volonté de libérer les femmes — dans toutes les cultures — de l’oppression et de l’asservissement qui sévissent depuis longtemps, et dans le fait de les encourager à participer à la société ; dans l’engouement pour la prétendue non-rationnalité ; dans la multitude des nouvelles méthodes pour guérir à la fois le corps et l’âme. Il se reflète dans un l’immense dégoût pour les armes de destruction massive ; dans la compassion pour les victimes impuissantes de notre propension à la guerre ; dans l’implication de centaines de milliers de personnes dans la protection de la planète et l’assistance aux victimes de l’oppression. Tous ces canaux d’influence génèrent une nouvelle vision de la vie, de nouvelles façons d’être qui relient le corps, l’âme et l’esprit. Et tout cela s’amplifie grâce aux échanges facilités par Internet et par les organisations en ligne comme Avaaz avec plus de 30 millions d’abonnés.

La réhabilitation du Féminin invite à une réorientation de la conscience, à être réceptif aux événements qui se produisent dans le monde extérieur, mais également à réentendre la voix de l’âme, trop longtemps ignorée. L’activation du Féminin nous aide à renouer avec le fond universel de la psyché et les eaux vives de la profondeur. Un tel changement remet en question l’ensemble de nos croyances, approfondit et élargit considérablement l’idée que l’on se fait de notre présence sur terre, donnant un sens profond à la vie. Cela transforme tout.

L’époque nouvelle dans laquelle nous entrons verra peut-être émerger une image très différente de Dieu ou de l’Esprit, une nouvelle compréhension de l’intelligence instinctive au sein des modèles et des processus naturels, et de la façon dont la dimension invisible ou intérieure de la réalité influence et interagit avec la dimension matérielle. Cette nouvelle compréhension nous permettrait de retrouver une spiritualité authentique qui mène, au-delà des croyances religieuses et laïques, à une nouvelle relation avec une terre sacrée et un univers doté d’une âme. Depuis mes travaux publiés dans The Myth of the Goddess, et notamment le dernier chapitre intitulé « Le mariage sacré », je sais que cette phase émergente de l’histoire de notre espèce pourrait être annonciatrice d’un progrès de l’évolution, parce que l’esprit et la nature sont réunifiés et que l’humanité entre dans une relation consciente et engagée avec la vie, cherchant à servir celle-ci avec discernement, compassion et sagesse.

L’éveil du lien avec la Terre

Le signe le plus important de cette prise de conscience a peut-être été la première image de la terre, prise depuis la lune en 1968 par Apollo 8. En juillet 1969, le voyage des astronautes sur la lune (Apollo 11) nous a procuré l’image à couper le souffle de la terre vue de l’espace. Cinq cents millions de personnes ont regardé l’alunissage d’Apollo et écouté les célèbres paroles de Neil Armstrong. La prouesse technologique qui a permis d’envoyer l’homme sur la lune était impressionnante en elle-même. Mais voir la terre depuis cette distance a changé notre rapport à elle. Pour la première fois, nous sommes devenus visuellement conscients de la beauté et de la fragilité de notre planète, semblable à un joyau, et avons su qu’elle était notre foyer dans l’immensité de l’univers. Elle paraissait si précieuse, si vulnérable. L’amour de notre planète bleue s’est éveillé dans nos cœurs.

En l’espace de quelques heures, notre regard planétaire s’est changé en un regard universel, et notre relation avec le cosmos et la perception que nous avions de nous-mêmes ont été transformées ; le sentiment de dilatation a été extraordinaire. Le fait même que la lune — symbole ancestral de la Grande Mère, du féminin et de l’âme — ait été explorée est en lui-même significatif. Mais c’est l’image de notre planète depuis la lune qui nous a transportés au-delà des allégeances nationales et ethniques et a ouvert notre conscience à la conscience universelle, au sentiment d’appartenance au Cosmos.

Le pouvoir guérisseur du Féminin

Dès l’âge de bronze sumérien ou égyptien, les archives font état d’élans de charité envers les orphelins, les veuves et les malades.

Aujourd’hui, en dehors des milliers d’organismes de bienfaisance et des ONG qui ont vu le jour pour venir en aide aux millions de personnes dans le besoin, une pression de plus en plus forte s’exerce sur les gouvernements pour qu’ils agissent de façon éthique en gardant à l’esprit le bien-être de la planète. Grâce à la télévision, nous avons bien plus conscience de la souffrance dans le monde. En étant témoins et en compatissant, nous partageons la souffrance des personnes qui sont loin de nous. Partout où il est fait appel à la compassion, on retrouve la voix du cœur, la voix du Féminin.

Le Féminin met l’accent sur des valeurs éthiques que l’on a occultées, bannies ou incomplètement développées au cours de cette vaste période dominée par l’archétype du soleil. On ne pourra pas retrouver ces valeurs par la force ou l’exigence. Elles renaîtront uniquement si la conscience de l’homme se transforme et participe à leur renouveau. La Cour pénale internationale de La Haye, qui a pour but de juger les hommes et les femmes accusés d’avoir commis des crimes contre l’humanité, illustre l’émergence de ces valeurs. Les dirigeants politiques ne peuvent plus prétendre que la défense des intérêts nationaux justifie les atrocités et les actes de génocide qu’ils commettent.

Répondre à la montée du Féminin demande que l’on renonce à la guerre et à la fabrication d’armes, et que l’on abandonne également le racisme et les conquêtes au nom de Dieu ou de toute autre idéologie. Si nous cessions de recourir aux armes et à la guerre, réattribuant les milliards ainsi épargnés vers l’alimentation, l’éducation et les soins aux enfants, il en résulterait un monde infiniment meilleur et permettrait la survie de l’espèce. Nous devons remettre en question l’obscure éthique guerrière des gouvernements qui exige de continuels préparatifs pour la guerre, qui fait vendre des armes à des fins lucratives et crée de nouvelles armes de destruction massive.

Comme tout nouvel élan culturel, le Féminin nous met en contact avec les sources profondes de la vie psychique, ramenant à la surface les eaux vives qui nourrissent et élèvent l’âme. Le Féminin encourage les gens à dépasser les modèles d’asservissement instaurés depuis des millénaires, les aidant à se défaire de leur servitude à l’égard des oppresseurs autocrates et à établir des gouvernements démocratiques au service d’une vie meilleure. Il libère les femmes des siècles d’oppression, de silence imposé et de l’esclavage.

La Voix des femmes

La réponse à la question « Que veulent vraiment les femmes ? » — posée par Freud au début du siècle dernier — est que les femmes et leurs familles veulent vivre libres du joug de la peur, de la faim et de la misère, de l’oppression, de la violence, de la torture et du viol. Le monde a besoin d’entendre la voix de centaines de millions de femmes de toutes les nations. L’éducation et la contraception ont transformé la vie de millions de femmes mais à cause de la misère, des a priori ou des coutumes, d’innombrables millions de femmes n’y ont pas accès. Elles vivent dans une infâme pauvreté, victimes de la brutalité et du mépris des hommes, considérées comme des objets sexuels (en particulier en Afrique), contractant le Sida par leurs maris ou leurs partenaires. Elles luttent, au jour le jour, pour qu’elles et leurs enfants puissent rester en vie, la pauvreté les contraint à la prostitution ; elles perçoivent des salaires de misère qui leur suffisent à peine et sont incapables d’exprimer leur détresse ou de trouver des témoins en leur faveur. Même dans les sociétés dites développées où le niveau de vie est élevé, la violence domestique gâche la vie de millions de femmes. Partout où il y a la guerre, le viol est utilisé contre elles comme une arme. La traite des êtres humains détruit la vie de millions d’autres. Quand il y a massacre et destruction, dans les pays déchirés par la guerre comme la Somalie et la Syrie, les femmes et les enfants en sont les premières victimes. Le sort de toutes ces femmes en souffrance et de leurs enfants est intolérable dans un monde où la communication est de plus en plus facile, un monde dans lequel la situation dramatique des femmes et de leurs enfants peut être vue à la télévision et où il existe une richesse et une expertise médicale qui pourraient alléger les souffrances de tant de personnes.

Matthew Arnold, philosophe et poète, a déclaré que si jamais les femmes se réunissaient purement et simplement pour le bien de l’humanité, ce serait une puissance telle que le monde n’en a jamais connu. Le sage soufi Hazrat Inayat Khan disait qu’il était évident que l’heure approche où les femmes conduiront l’humanité vers une plus grande évolution. En 2009, lors d’une conférence à Vancouver, le Dalaï Lama a laissé son auditoire sans voix en disant que le monde serait sauvé par la femme occidentale.

Un grand saint hassidique, Baal Shem Tov, a dit : «Quand la lune brillera autant que le soleil, le Messie viendra. » La femme, par la lutte qu’elle mène pour exprimer les valeurs les plus élevées du principe féminin, commence à faire briller la lune pour équilibrer le côté solaire de la conscience actuelle. En reconnaissant sa dépression, sa souffrance, son désir de dépasser l’asservissement et l’impuissance de ses expériences passées et présentes — en reconnaissant et en assumant ses valeurs les plus profondes, elle peut accomplir quelque chose de véritablement héroïque et extraordinaire pour la vie et la terre, quelque chose dont l’humanité se souviendra dans les siècles à venir. C’est pour cette raison que rien n’est aussi important que le salut de la femme par la femme.

L’éveil de l’âme

La résurgence du Féminin et l’éveil de l’âme portent essentiellement sur les valeurs de sentiments qui ont été insuffisamment développées, marginalisées ou occultées durant le patriarcat, en partie en raison de l’étouffement de l’expression féminine qui est l’une des caractéristiques de cette période. Ces valeurs ne peuvent en aucun cas se développer par la force ou même la revendication. Elles ne peuvent émerger que si la conscience de l’être humain change, autorisant leur apparition. La rédemption du Féminin peut être la clé qui transformerait notre culture — qui régresse vers l’uniformisation de masse, la banalité et la brutalité — en quelque chose d’ardemment désiré et d’extraordinaire.

Cette formidable évolution, en nous ramenant à nos aspirations les plus profondes à nous relier aux autres et à la vie sur terre, opère de façon alchimique sous le vernis de notre culture. Les femmes et les hommes participent d’un processus de transformation qui se manifeste sous la forme d’une nouvelle conscience planétaire, un nouvel élan culturel dont l’accent est mis sur la reconnaissance grandissante de l’interconnexion et l’interdépendance de tous les aspects de la vie. La « conquête de la nature par l’homme », dont on se félicite de façon présomptueuse, est remplacée par le constat que si nous voulons survivre, nous devons respecter et chérir cette vie planétaire qui nous nourrit et nous porte.

Conclusion 

L’instinct séculaire de la femme — qui est de nourrir la vie — et celui de l’homme — qui est de la protéger et la défendre —, sont en train de grandir jusqu’à englober et servir la terre, cette planète qui a mis plus de trois milliards et demi d’années à développer un organe de conscience qui permette à l’univers de prendre conscience de lui-même. Cette planète est maintenant menacée. Notre propre survie est incertaine. D’ici peu, nous pourrions ne plus être capables de modifier le cours des événements que nous avons stupidement mis en branle. Mais face à cette situation extrêmement périlleuse, nous commençons à retrouver le lien perdu avec la dimension sacrée de la terre et de l’univers. Nous instaurons des liens plus étroits avec les autres, œuvrons pour sauver cette planète et préserver les générations futures de nos comportements prédateurs inconscients. La résurgence du Féminin se reflète dans :

- Un sentiment croissant de responsabilité envers la terre ;
- Une prise de conscience que nous faisons partie d’un univers vivant ;
-La reconnaissance de l’inter-dépendance et de l’inter-relation de tous les aspects du vivant.
- Un effort conscient pour guérir la scission entre le corps, l’âme et l’esprit
- Une conscience accrue des complexes inconscients qui nous gouvernent ;
- La naissance d’une relation différente entre les hommes et les femmes. Une conscience accrue de la souffrance et des besoins des enfants ;
- Une prise de conscience que nous devons traiter toutes les formes de vie avec respect et compassion

Aujourd’hui, nous devons faire face à quatre questions :

• Comment retrouver l’impression d’appartenir à quelque chose d’infiniment sacré ?
• Comment développer le respect et la compassion envers la vie sous toutes ses formes ?
• Comment trouver le chemin vers les aspirations fondamentales du cœur humain pour l’amour, le sens de la relation et de l’attachement ?
• Comment se défaire des croyances et des modes de comportement qui ont été si dommageables pour l’âme comme pour la terre ?

Cette période de changement est porteuse d’immenses possibilités mais aussi de grands dangers, car la puissance transformante du Féminin active la peur viscérale du changement, et provoque en retour une réaction qui cherche à maintenir, ou réaffirmer le contrôle sur autrui. Nous marchons sur le fil du rasoir entre l’intégration consciente d’une nouvelle vision et la désintégration sociale et le retour à la barbarie — voire la destruction de notre espèce. En ce nouveau millénaire, nous participons à la naissance d’une nouvelle période de l’évolution, qui comporte des valeurs et des objectifs totalement différents de ceux qui ont dominé durant l’époque du patriarcat. D’un point de vue symbolique, cette nouvelle ère invite au mariage du soleil et de la lune et à la naissance de l’« enfant », conscience renouvelée de l’âme humaine qui serait le fruit de cette union et le véritable «sauveur» de notre espèce. C’est une époque où l’on nous demande, comme le fait T. S. Eliot dans son poème Mercredi des Cendres :

Rachète le temps.
Rachète la vision indéchiffrée
Du plus haut rêve.

C’est une époque extraordinairement passionnante, pleine de défis et de créativité.


Ce texte est extrait du livre d'Anne Baring : The Dream of the Cosmos: a Quest for the Soul.
Les lecteurs anglophones trouveront de nombreux textes sur le site internet d'Anne Baring  ainsi que deux interviews par Andrew Harvey à propos de son dernier livre The Dream of the Cosmos: a Quest for the Soul.

Traduction : Michèle Le Clech (avec l'aimable autorisation d'Anne Baring
Relecture : Nelly Delambily