Dr Michael Cornwall : l’accueil de la « folie »

Carnets de rêvesInterview, Michael Cornwall, Traduction 1 Comment

L’interview qui suit fait partie d’une série d’entretiens sur « L’avenir de la santé mentale » qui s’étend sur plus de 100 jours.
Cette série aborde différents points de vue sur ce qui aide une personne en grande difficulté. Je tenais à un certain œcuménisme et j’ai donc inclu de nombreux points de vue, différents du mien. J’espère que vous apprécierez.
Comme pour toute ressource ou service en matière de santé mentale, faites preuve de discernement.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les approches, services et organismes qui sont mentionnés, suivez les liens.
Eric R. Maisel

Entretien avec le Docteur Michael Cornwall

mcornwallMichael Cornwall, Ph.D., a traversé la folie il y a cinquante ans de cela ; il a accompagné des personnes en grande souffrance émotionnelle et dans des états limites pendant presque 40 ans. A Esalen Institut, il dirige des ateliers sur la compassion envers les personnes en très grande souffrance, et publie régulièrement sur madinamerica.com
Michael Cornwall consulte à son cabinet et via Skype. Il peut être joint à michaelcornwall.com

Eric R. Maisel : Vous êtes de confession jungienne. Pouvez-vous nous dire brièvement ce qui vous parle aujourd’hui encore dans cette approche ?

Michael Cornwall : J’aurai 70 ans le mois prochain, et l’approche jungienne est toujours très pertinente pour moi : il y a de cela une cinquantaine d’années, et pendant environ un an, j’ai traversé ce que la psychiatrie appelle une psychose.
Ce fut l’enfer, mais je suis heureux de l’avoir traversée sans traitement ni médication. J’ai parlé de cette expérience personnelle dans un article, Initiatory Madness, publié sur madinamerica.com

J’émergeais tout juste de cette nuit obscure remplie d’hallucinations auditives malveillantes, d’étranges perceptions et de phénomènes psychiques doublées d’une terreur surnaturelle intense, permanente, quand j’ai découvert les œuvres complètes de Jung (Collected Works).
Dès la première page, j’ai su d’instinct qu’il connaissait parfaitement ce traumatisme larvé en moi, ce monde imaginaire et cauchemardesque peuplé d’esprits étranges auquel je venais tout juste de réchapper.

Le Livre rouge de Jung, disponible depuis peu, rapporte en détail son propre cheminement à travers la folie. Durant les années 70, lire ses œuvres complètes et son autobiographie — « Ma vie » – Souvenirs, rêves et pensées — c’était comme découvrir une carte détaillée, annotée par un compagnon de voyage qui connaissait le monde fou et aliénant qui m’avait englouti.

Jung savait que le fragile ego, dont nous dépendons tous à l’état de veille, repose de façon précaire au-dessus d’un abîme insondable. Il écrit : « une source profonde qui n’est pas alimentée par la conscience et échappe à son contrôle. Dans la mythologie ancienne, ces forces étaient appelées mana, esprits, démons ou dieux. Elles sont toujours aussi actives aujourd’hui.(*) »
De tels mots donnaient du sens à l’étrange et pénible voyage intérieur au cœur de l’obscurité d’où j’étais sorti bien différent.

La psychologie des profondeurs de Jung souligne un élément essentiel et pourtant très souvent négligé des états limites : il s’agit de l’expérience émotionnelle subjective dont l’aspect mythique et archétypal — fût-il céleste ou infernal — se produit très souvent en réponse à l’horreur de la guerre et de la torture, à nos traumatismes, ou à la crainte existentielle de la mort.

Mais, si notre appétence pour l’extase et l’expérience mystique fait également partie de notre nature humaine, ces puissantes forces bénéfiques peuvent aussi engendrer des états limites. Le numineux possède aussi sa lumière. Il est un amour véritable, durable, que nous pouvons ressentir envers nous-mêmes et les autres, et cette énergie d’amour peut apporter une paix profonde et l’espoir d’un jour meilleur.
Avec cet espoir comme talisman, j’ai soutenu et accompagné des personnes à travers la folie pendant environ quarante ans — parfois comme un serviteur tremblant, sage-femme ou ami fidèle dans la souffrance — face à cet incommensurable  mystère.

Mais, même si je respecte la tradition jungienne, je me soucie peu de coller à la théorie de façon permanente et dogmatique, ou de faire de Jung un demi-dieu, pas plus que je ne pourrais placer le DSM et l’institution psychiatrique sur un piedestal. La psychiatrie a tragiquement échoué dans la compréhension de la souffrance humaine et elle a échoué à y répondre avec compassion.

Eric R. Maisel : Vous tenez aussi de l’approche de Ronald Laing. Beaucoup de nos lecteurs ne sont pas familiarisés avec Laing. Pouvez-vous nous dire qui il était et ce qui, dans son travail, continue de vous parler ?

Michael Cornwall : j’ai découvert les écrits de Laing au même moment que ceux de Jung. Laing est un autre dissident de la psychiatrie qui a totalement tourné le dos à sa formation et à l’endoctrinement. Sa vision de la santé mentale et de la folie était large, profonde, laissant place à la spiritualité et aux ténèbres.
Laing a vu le 20e siècle ravagé par la guerre pour ce qu’il est véritablement, c’est-à-dire un monde de folie, et comment notre vie moderne peut facilement générer en chacun de nous un enfer de désespérance, une blessure de l’âme collective qui peut aisément nous faire basculer dans des états émotionnels extrêmes, jusqu’à la folie.
Laing n’a pas craint de montrer, sans les blâmer, que les familles modernes (dont la sienne) étaient les victimes d’une culture occidentale défaillante. Selon lui, notre culture repose sur des valeurs destructrices de honte, de culpabilité et d’intimidation, et opère sur un fond de darwinisme social, moderne et implacable. Laing a écrit l’extraordinaire Divided Self vers la trentaine. Lorsque j’ai lu ce livre, j’avais l’impression qu’il avait eu accès à mes états d’âme les plus intimes.

Laing et Jung ont vu l’un et l’autre au delà de l’apparence des comportements rationnels prétendument civilisés. Ils ont percé à jour l’autosatisfaction malhonnête des institutions comme la psychiatrie, défaillantes et pourtant promptes à condamner et écraser ceux qui s’en écartent. Ils ont souligné avec courage comment les processus culturels collectifs, aléatoires et versatiles, participent pourtant de la création d’une représentation collective de la normalité et de la vertu.

Eric R. Maisel : Vous vous intéressez tout particulièrement à la démesure des contrôles sociaux dans l’application du modèle de « diagnostic et des traitement des troubles mentaux » qui domine aujourd’hui.
Accepteriez-vous de partager avec nous quelques unes de vos réflexions sur le sujet ?

Michael Cornwall : Eh bien, depuis mon épisode psychotique des années 70 jusqu’au moment où j’écris ceci, je n’ai jamais cru que le discours superficiel de la psychiatrie pourrait jamais expliquer ce que fut pour moi cette expérience écrasante, msytérieuse et incroyablement destructrice de mon voyage à travers la folie.
Je n’ai donc jamais regardé la souffrance émotionnelle d’autrui, quelle qu’en soit la nature, à travers ce prisme déformant et inadapté. Je ne crois pas au modèle pathologique de la maladie mentale — ou à la notion de maladie mentale.
J’ai rédigé un article sur madinamerica.com : Does the Psychiatric Diagnosis Process Qualify as a Degradation Ceremony? 

Trop souvent la psychiatrie est la source d’une violation flagrante des droits de l’homme. Electrochocs, jeunes enfants, enfants et adolescents médicamentés, contrainte des traitements à domicile, etc., sont là des violations des droits de l’homme. Comme l’ont fait la plupart des personnes interrogées pour cette série d’interviews, je me suis exprimé contre ces abus pendant des décennies.

Eric R. Maisel : Aux personnes qui sont dans ce que l’on appelle des états psychotiques, vous proposez une psychothérapie au sein de sanctuaires et d’espaces communautaires, des lieux sans médicaments. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Michael Cornwall : Pendant des années, dans ces centres sans médicament ouverts 24/7, j’ai eu la chance inouïe d’être une sorte de sage-femme pour certaines personnes qui subissaient la folie, tentant d’en réchapper. J’en ai parlé sur madinamerica.com : Remembering a Medication Free Madness Sanctuary.

Mes recherches de doctorat ont porté sur Diabasis House, un centre jungien sans médicaments fondé par mon ami John Weir Perry. Chaque semaine je reçois dans mon bureau des gens dans les états limites qui prennent ou ne prennent pas de médicaments. Imaginez-vous, présent, le cœur ouvert, bienveillant, réceptif face à toute émotion ou énergie qui peut émerger en l’autre durant ce voyage au cœur de la folie ou de la souffrance.

Voilà la pratique — se tenir là, calme quand le silence est attendu par l’autre, ou engagé dans une conversation ininterrompue si c’est ce qu’il réclame. Parfois, une heure se passe où je ne dis pas un seul mot ! Mon cœur est libre, mes larmes coulent si je suis profondément ému, je ne laisse pas le diagnostic ou la théorie ou l’action pour l’action interférer. Je me tiens juste là, dans l’amour. C’est aussi simple que ça. Ces cinq dernières années, à l’Institut Esalen et ailleurs, j’ai animé des rencontres où l’accent est mis sur la compassion envers les personnes dans ces états limites.

Eric R. Maisel : Si vous aviez un être cher dans la détresse émotionnelle ou mentale, que lui suggéreriez-vous d’essayer ?

Michael Cornwall : J’essaierais ce que j’ai dit plus haut sur l’écoute aimante, tout en l’autorisant à avoir des doutes sur la véracité de la représentation de la maladie mentale par la psychiatrie, et je lui conseillerais de regarder la vidéo que j’ai mise sur mon compte YouTube sur l’accueil bienveillant de la souffrance émotionnelle.

(*) C.G. Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, trad. L. Deutschmeister, Paris, Gallimard, coll. Folio/Essais, 1992, p. 140.


— Traduction : Michèle Le Clech, avec l’aimable autorisation du Dr. Michael Cornwall 
Relecture : Nelly Delambily
Article original paru dans Psychology.comBeing Present to « Madness »


Les traductions sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution

Comments 1

  1. « Seul le médecin [qui a été] blessé peut guérir », rappelait Jung.
    Et il savait en effet de quoi il parlait puisqu’il avait été personnellement en contact et en confrontation, au péril de sa raison, avec ce qui peut blesser ou tuer mais peut aussi guérir. C’est la voie des chamanes qui passent par la folie initiatique mais n’y demeurent pas engloutis, qui n’y sombrent pas définitivement. Michael Cornwall est de ceux-là.

    Les peuples premiers que nous avons longtemps tenus pour des simplets auxquels manquaient les lumières de la science et de la raison avaient la sagesse de ne reconnaître la qualité de guérisseurs qu’à celles et à ceux qui avaient traversé leur propre folie et en étaient revenus, dotés bien souvent de la capacité à en aider d’autres à traverser leur propre folie. Ils savaient que cet art du chamane est celui d’une vocation véritable.
    La prétention, l’hybris, de la médecine psychiatrique ou psychologique occidentale moderne est sans doute de croire que l’on peut apprendre à nager en demeurant sur la rive pour y prendre des cours de natation « de très haute tenue »….sans jamais se mouiller ne serait-ce que les pieds…

    Amezeg

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